Autres textes de cinéma de 61 à 70

 

C'est un bien inattendu point commun que se partagent Vice Versa (Inside Out en version originale) de Pete Docter et Poétique du cerveau, le nouveau long-métrage de Nurith Aviv. Les deux films seraient en effet aussi éloignés en termes formels (d'un côté le nouveau bébé Pixar personnifiant les émotions d'une gamine de onze ans, de l'autre un documentaire multipliant les perspectives d'appréhension du fonctionnement de notre cerveau) qu'ils proposeraient pourtant des images suffisamment auto-réflexives pour commenter les effets qu'elles exercent esthétiquement sur le spectateur.

 

 

Terra di nessuno : ce serait un no man's land (pour reprendre le titre d'un film suisse d'Alain Tanner de 1985), quand bien même il serait habité – une terre aussi habitée (205.000 âmes au recensement de 2009) qu'elle serait paradoxalement dépeuplée.

 

 

Un film dont les images battraient comme le sang et halèteraient comme le souffle, pourrait-on dire qu'il voit rouge ? C'est quand le rouge est mis que l'on sait, depuis Jean Cocteau, être passé en fraude. Pour qu'un film voie rouge et pose ainsi la libre passe de ses images en transgression des passages obligés, il faudrait par exemple que celui qui le réalise se soit quelque peu mis dans une peau imaginaire – par exemple celle d'un chef sioux : évidemment Sitting Bull appelé aussi Bison au repos ou Taureau Assis, lui dont le combat aurait dès lors consisté à empêcher que la boucherie coloniale ne dépiaute tout son peuple, réduit comme peau de chagrin pour n'être plus aujourd'hui que réserve et musée vivant d'antiques peaux-rouges.

 

 

Il y a toujours eu, dans les films de Philippe Faucon, une manière de retenue qui retient l'attention alors même qu'elle s'effectue ou s'appuie avec des éléments de narration et de représentation ténus. On pourra toujours recouvrir ce mixte de retenue et de ténuité du chapeau de la simplicité, mais ce serait en soi une simplicité de le dire en se félicitant de s'en arrêter là. Peut-être même que s'en arrêter à la simplicité consisterait à fondamentalement rater le mélange d'élégance et de fermeté, de sûreté même caractérisant un trait « ligne claire » qui s'appliquera à partir du contenu habituel du naturalisme soft (les fictions privilégiées par Philippe Faucon se concentrent sur des conflits d'identité et de générations propres aux classes populaires et leurs franges d'ascendance migratoire et coloniale résidant dans des cités éloignées de Paris) mais en procédant, en une manière pudique quasi-bressonienne, par rétention et soustraction.

 

 

Il aura donc fallu une série opiniâtre réalisée pendant un quart de siècle, composée de sept films documentaires consistant à labourer la représentation du champ politique marseillais et à en cultiver l'expression renouvelée dans la durée des contradictions et apories sur le terrain récoltées, pour qu'aujourd'hui un grand désir de hors-champ se fasse sentir et s'impose avec un huitième titre officiellement annoncé comme étant le dernier, en conclusion de ladite série comme en forme aussi d'ouverture et de ligne de fuite.

 

 

A l'image de l'appareil de prise de vue cinématographique dont il représente techniquement l'arkhè, « l'appareil photographique est une horloge à voir, ou plutôt à revoir, qui produit des images qui sont aussi des miroirs. Ces supports, interfaces ou surfaces de mon imago, sont des spectra qui rayonnent en différant, des miroirs à retardement » (Bernard Stiegler, La Technique et le temps, 2. La désorientation, éd. Galilée, 1996, p. 29). A cette aune caractérisée par un essentiel différé, Visite ou Mémoires et Confessions de Manoel de Oliveira constituerait peut-être bien l'un des plus beaux miroirs à retardement de l'histoire du cinéma.

 

 

La peau blanche d'ivoire et la longue crinière noire d'ébène, statuaire de grande gigue brune au regard de ténèbres et à la voix doucement éraillée, fille de feu battant comme le sang sous des airs marmoréens de tragédienne gothique : Ronit Elkabetz était un peu la fée Viviane du cinéma (israélien, mais pas que). Si tôt (deux grandes décennies à peine) qu'elle serait déjà repartie dans sa forêt de Brocéliande d'où elle serait venue, y ayant appris quelques mémorables tours de cette magie grise, moins bretonne cependant que judéo-arabe (née dans le Néguev, sa famille était originaire d'Essaouira au Maroc).

 

 

Ce serait comme un geste aussi modeste qu'héroïque, tantôt bavard (le ciel bas et lourd de l'esprit de sérieux, parfois, menace), tantôt mutique (les éclaircies de l'esprit de jeu, souvent, réchauffent), que celui de vouloir se confronter aux formes urbaines de la massivité, et cela sans céder un chouïa sur la légèreté dont serait garant, si fragile, un corps en ses promesses. Et pourquoi pas déjà, et même avant toute chose, le corps de la réalisatrice elle-même, dès lors disposée à s'exposer afin de tenter d'alléger ce qui s'impose - face à elle, en elle ?

 

 

Archéologies et Mémoires d'Empires, d'accord. Mais avant, mais entretemps, Searching for Hassan, primé entre autres au FID Marseille en 2009 ? De Hassan, il sera en effet à un moment donné question au cours du premier long-métrage documentaire d'Édouard Beau, mais jamais les soldats kurdes d'une unité de la garde nationale irakienne ne le trouveront.

 

 

Que fait le cinéma français contemporain de la présence militaire française en terres afghanes ? En termes de fiction, pas grand-chose jusqu'à présent, si l'on se souvient de produits labellisés Ministère de la Défense tel Forces spéciales (2011) de Stéphane Rybojad ou le plus anecdotique et méconnu Piégé (2013) de Yannick Saillet. Surtout que, depuis 2001, la mobilisation de troupes françaises n'a pas cessé. Même si, après une décennie passée caractérisée par deux niveaux d'intervention distincts (la force internationale d'assistance et de sécurité ou ISAF sous commandement de l'OTAN et l'opération Enduring Freedom sous celui des États-Unis), la quatrième force militaire de la coalition instituée après les attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001 s'est progressivement retirée du théâtre impérial des opérations, passant de 1.400 personnes à la fin 2012 à 150 personnes environ à la fin 2014.