Autres textes de cinéma de 71 à 80

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Alors que Dheepan, Yalini et la petite Illaayal se sont inventés une famille de papier afin de pouvoir quitter le Sri Lanka pour l'Europe, la fausse épouse se retourne vers son faux époux en lui demandant confirmation du pays de destination. Contrairement à ce qu'elle croyait ou attendait, ce n'est pas l'Angleterre vers où se dirigent en fait les personnages, mais la France. LA FRANCE. Alors, Yalini écarquille suffisamment les yeux pour que le blanc laiteux de ses yeux transperce la nuit d'une onde de terreur que Dheepan se chargera de vérifier scrupuleusement.

 

 

Ce serait – encore une fois parce qu'il le faut – une incantation. Étymologiquement : une invitation par le chant à faire entrer dans le monde de la nature le surnaturel. Le cinéma serait comme un chamanisme dès lors qu'il s'agit en effet d'y faire prononcer et résonner les paroles en capacité de transgresser surnaturellement la nature du monde tel qu'il est configuré et ne va pas.

 

 

Yassine Qnia et Soufiane Adel, ces deux-là se connaissent bien, le premier a d'ailleurs eu la bonne idée de proposer en guise de finale à la petite intégrale de ses trois courts-métrages montée par le Ciné 104 la projection de Sur la tête de Bertha Boxcar (2010) co-réalisé avec Angela Terrail. Marrant de remarquer comment ces deux jeunes réalisateurs, qui partagent un même souci à la fois documentaire et biographique d'inscription dans des territoires urbains périphériques (Aubervilliers pour l'un, Champigny-sur-Marne pour l'autre), envisageraient à des pôles résolument opposés le travail requis dans l'usage de la machinerie cinématographique.

 

 

Pour penser le cinéma comme art de produire des images de la pensée, pour penser le cinéma dans ses rapports indirects ou directs avec la pensée elle-même, pour penser le cinéma comme forme de pensée qui se donnerait à voir comme telle dans les expressions propres à son art, Gilles Deleuze aura eu besoin d'Antonin Artaud. Quand bien même un texte comme « La vieillesse précoce du cinéma » daté de 1933 expose les motifs d'une rupture profonde de l'écrivain avec un art en lequel il crut temps et qui aurait selon lui failli à l'endroit même où il aurait pu ou dû être le plus grand.

 

 

Damien Ounouri semble bien décidé à disposer de plusieurs cordes à son arc. Ainsi, Xiao Jia rentre à la maison (2008) est, en écho avec le film précédent ChangPing, sonate d'une petite ville chinoise (2007), un documentaire réalisé par un jeune réalisateur franco-algérien alors âgé de 26 ans et consacré au cinéaste chinois Jia Zhang-ke de retour après la réception vénitienne d'un Lion d'or pour Still Life (2006) à Fenyang dans le Shanxi, sa région natale où il tourne depuis ses débuts et encore régulièrement (après cette rencontre, le réalisateur en conservera une amitié incluant l’ingénieur du son Lin Dan-feng).

 

 

Abdallah Badis revient – au cinéma avec un nouveau long-métrage, en Algérie pour ce nouveau film : littéralement, il est un revenant. Voilà comment, en s'exposant aux pressions naturelles comme aux impressions subjectives du paysage originaire, il se présente au spectateur, en revenant, revenant en effet au pays de sa naissance qui est aussi celui d'avant sa naissance pour marcher beaucoup et y chercher, peut-être, un secret qu'il lui faudrait moins dévoiler qu'en réserver la garde – pour la mémoire et son avenir.

 

 

Un désert se peuple, le même désert se dépeuple : dans l'intervalle, un monde sera apparu et, disparu depuis en ne laissant plus comme traces que celles de ses immondices, le milieu naturel en aura été modifié – désertifié. C'est incontestablement un grand récit, une épopée même que racontent les 120 minutes de Babylon, portant sur le passage métabolique du milieu vivant désertique à son humaine désertification dès lors qu'un monde surgit de nulle part comme une lame de fond, grosse des damnés de la terre charriés par les dislocations géopolitiques du moment, pour ensuite se retirer en ne laissant plus voir sur la grève que ses restes échoués.

 

 

En conclusion de son essai intitulé L’Impérialisme, deuxième partie des Origines du totalitarisme (1951), précisément au terme de son chapitre conclusif intitulé « Le déclin de l’État-nation et la fin des droits de l’homme », Hannah Arendt relève ceci, de décisif pour son temps – et d’aussi décisif pour le nôtre : « Le danger mortel pour la civilisation n’est plus désormais un danger qui viendrait de l’extérieur. (…) Le danger est qu’une civilisation globale, coordonnée à l’échelle universelle, se mette un jour à produire des barbares nés de son propre sein à force d’avoir imposé à des millions de gens des conditions de vie qui, en dépit des apparences, sont les conditions de vie de sauvages » (éd. Seuil, coll. « points essais », 1982, p. 292).

 

 

On a plusieurs fois vu, encore récemment chez Abdallah Badis par exemple, que l'Algérie pouvait se vivre selon la modalité existentielle d'un imprévisible retour. Comme un effet feed-back ou bien boomerang. On expérimentera désormais que l'Algérie peut être vécue aussi comme un foudroiement pour celui qui, à l'instar de Mohamed Ouzine réalisant un documentaire intitulé Samir dans la poussière, est revenu dans la région de Tlemcen sur les terres natales de son père à l'occasion de son décès pour y retrouver notamment un neveu vivotant de la contrebande d'essence en bordure de la frontière marocaine et dont l'intense mélancolie aura obligé son oncle, sans prévenir, à lui consacrer un film.

 

 

Les hirondelles font-elles le printemps ? C'est l'inusable question et elle ne cesse notamment d'être posée à l'égard des premiers longs-métrages tournés dans ces pays ayant été caressés par l'aile de l'hirondelle arabe. Particulièrement en Tunisie où beaucoup s’efforcent, dans l'héritage de Ahmed Bahaeddine Attia (le producteur des films de Férid Boughedir, Nouri Bouzid et Moufida Tlati), de soutenir la production de films d'auteur à vocation commerciale, susceptibles de fortifier sociologiquement un marché national fragile tout en bénéficiant des apports et des débouchés de l'international (ce à quoi participent exemplairement les Journées Cinématographiques de Carthage).