Retour vers le futur (Ridley Scott, I)

Alien libido

Qu'est-ce que la lamelle ?

 

 

 

 

« La lamelle, c'est quelque chose d'extra-plat, qui se déplace comme l'amibe. Simplement, c'est un peu plus compliqué. Mais ça passe partout. Et comme c'est quelque chose – je vous dirai tout à l’heure pourquoi – qui a à voir avec ce que l'être sexué perd dans la sexualité, c'est, comme est l'amibe par rapport aux êtres sexués, immortel. Puisque ça survit à toute division, puisque ça subsiste à toute intervention scissipare. Et ça court. Eh bien ! ça n’est pas rassurant. Supposez seulement que ça vienne vous envelopper le visage, pendant que vous dormez tranquillement... » (Jacques Lacan, Le Séminaire XI. Les quatre concepts de la psychanalyse (1963-1964), éd. Seuil-coll. « Points », 1973, pp. 221).

 

 

 

Comme à son accoutumée, Slavoj Zizek renchérit sur l'éthique de la psychanalyse lacanienne en proposant d'en tirer un court-circuit pour apprécier autrement la culture de masse, comme un effet de parallaxe : « Pour un passionné de cinéma, il est difficile de ne pas penser qu'il a déjà vu tout cela. La description de Lacan lui rappelle non seulement les créatures de cauchemar qu'on trouve dans les films d'horreur, mais, plus spécifiquement, on peut retrouver cela, point par point, comme la description d'un film tourné plus de dix ans après ce texte, à savoir Alien de Ridley Scott. Le monstrueux alien du film ressemble tellement à la lamelle de Lacan qu'on pourrait croire que celui-ci a vu le film avant son tournage » (in Comment lire Lacan, éd. Nous-coll. « antiphilosophique », 2011 [2006 pour l'édition originale], p. 73).

 

 

 

Si Alien, le deuxième long-métrage de Ridley Scott, demeure un chef-d'œuvre du genre (et fort probablement le seul vrai chef-d'œuvre de son réalisateur), c'est en raison de l'hyper-sexualisation de quelques motifs caractéristiques de la science-fiction (un vaisseau spatial, une planète inconnue, une créature extraterrestre, monstrueuse et dangereuse, toutes choses que l'on a déjà dans It ! The Terror from Beyond Space d'Edward L. Cahn et La Planète des vampires de Mario Bava). L'hyper-sexualisation en question légitime amplement le croisement du genre de la science-fiction avec celui de l'horreur comme un accouplement, une hybridation en elle-même monstrueuse. Le monstre appelé par les exégètes de la saga Alien « xénomorphe » a besoin en effet d'un corps humain afin d'en parasiter l'organisme. Une fois sortie brutalement du ventre de son hôte, la créature se développe et atteint la maturité en considérant les autres formes de vie, particulièrement humaines, comme une matière substantielle à prédation (et reproduction, ce qui sera explicité et développé dans les films suivants de la franchise).

 

 

 

 

L'hostilité du parasite

 

 

 

 

Une première couche de sens du récit conçu par Dan O'Bannon (le co-auteur de Dark Star en 1974 avec John Carpenter et auteur d'Alien autant que Ridley Scott sinon davantage) vient en relève de l'échec de l'ambitieux projet d'adaptation de Dune de Frank Herbert par Alejandro Jodorowsky. Au niveau épidermique le sens se déduit déjà d'une desquamation à l'évidence autobiographique. C'est elle qui fait suinter la viscérale viscosité de douleurs abdominales éminemment personnelles. Après l'abandon de Dune qui lui a beaucoup coûté, Dan O'Bannon était devenu anorexique, incapable de s'alimenter et dégurgitant tout ce qu'il essayait d'avaler. C'est alors qu'il a été invité par ses proches à imaginer l'histoire la plus malsaine qui soit, nourrie de comics et de films SF des années 1950-1960, mais aussi de Lovecraft et de Conrad, mais encore de Jérôme Bosch et de Francis Bacon, et même de parasitologie (avec le modèle de la guêpe parasitoïde), afin d'en tirer la matière d'un sursaut nécessaire en forme de purge cathartique. Le scénario d'Alien a écopé des macérations liées à l'échec de Dune. Dan O'Bannon l'a ruminé dans son ventre et il l'a sorti de ses tripes.

 

 

 

Les sources multiples d'inspiration épaississent ainsi la peau du sens dont les couches forment un derme dense tramé de quelques obsessions archétypales comme le motif du parasite. Peut-être déjà celui que Dan O'Bannon aurait incarné face à Hollywood qui en a cependant rejeté l'infiltration. Le récit d'Alien propose en effet quelques développements autour du noyau d'hostilité de la figure de l'hôte. Parce qu'il profite de façon pronatrice et prédatrice de l'hospitalité de ses hôtes (le mot français est par sa polysémie même ambivalent, sinon amphibologique), le parasite nourrit aussi tous les discours réactionnaires qui s'affolent des conséquences censément apocalyptiques des réalités migratoires.

 

 

 

Nombreux sont les discours et représentations obsédés par l'ennemi intérieur qui souillerait et saperait l'homogénéité communautaire et identitaire, nationale ou raciale, angoissés jusqu'à la hantise par l'étrangeté de l'étranger (et c'est bien là le sens fondamental du mot anglais alien). Dans ce régime de discours obsidional et organiciste, caractéristique de la pensée réactionnaire, l'étranger représente un supplément obscène synonyme d'insinuation dangereuse pour la cohésion générale du groupe au sein duquel il se faufilerait pour en altérer l'équilibre organique interne. Sait-on que l'homme glissé dans le costume du monstre, parce qu'il devait être grand et fin, est issu du groupe des Massai en Afrique de l'est, trouvé dans la personne Bolaji Badejo d'origine nigériane ?

 

 

 

Le risque idéologique encouru par le récit de Dan O'Bannon est donc bel et bien réel, mais l'on verra aussi comment il a été surmonté, et intelligemment parce que de l'intérieur. En attendant, le film de Ridley Scott, en bénéficiant des apports techniques visionnaires du dessinateur H. R. Giger (que Dan O'Bannon avait d'ailleurs rencontré durant le projet d'adaptation de Dune par Alejandro Jodorowsky) mais aussi du dessinateur Jean « Mœbius » Giraud (qui était également de l'aventure de Dune) comme enfin de Carlo Rambaldi, investit une sensibilité organique qui pousse le Nostromo (le vaisseau-tanker qui tire son nom d'un roman éponyme de Joseph Conrad publié en 1904) à valoir comme un organisme quasi-biologique. La blancheur kubrickienne et clinique des lieux de discussion et de décision s'assombrit en effet dès lors qu'il s'agit de s'enfoncer dans un dédale obscur de couloirs obscurs et poisseux, suintants et glauques.

 

 

 

 

La civilisation technique

et l'horreur de son refoulé organique

 

 

 

 

Les prolongements sont inévitablement intestinaux quand s'y cache le xénomorphe, sorte d'amibe parasite à l'exosquelette quasi-métallique dont le sang équivaut à de l'acide citrique. Et ses hôtes soucieux de s'en débarrasser afin de survivre à son passage et ses métamorphoses doivent évacuer au dehors le parasite comme une déjection, un déchet. Un excrément, un reste obscène. Même la sophistication du matériel télé-technologique ne saurait échapper à cet imaginaire du suintement dominé par un organicisme radical décisivement apporté par H. R. Giger. Son travail esthétique consisterait à rendre compte du noyau organique refoulé par la civilisation technique et son retour prendrait alors une dimension à la fois répugnante et fascinante. La fascination prend une coloration fascisante avec la fusion sexuelle de l'organique et de l'inorganique en faisant écho aux contradictions du modernisme réactionnaire du nazisme qui mélange délire racial et volontarisme industriel.

 

 

 

Dans Alien les images de la retransmission vidéo ne cessent pas d'être zébrées et brouillées pour finir par ressembler à un mélange d'humeurs baveuses. Quant aux échos radiophoniques des voix, elles prennent tantôt une dimension caverneuse, tantôt une direction gutturale et glaireuse faite de sifflements et de chuintements, de gorges raclées, de râles et de crachotements (cf. Michel Chion, Les Films de science-fiction, éd. Cahiers du cinéma, 2009 [2008 pour la première édition], p. 263-267).

 

 

 

On appréciera particulièrement les premiers plans de Alien qui présentent des couloirs vides, mais comme toujours déjà traversés par le souffle d'une forme de vie innommable et imprésentable, une vie inorganique appartenant déjà aux machines programmées pour piloter le vaisseau-tanker pendant que son équipe est depuis de longs mois artificiellement endormie. Les dormeurs vont bientôt se réveiller pour vivre le plus terrible cauchemar. Le plus terrible parce qu'il sera vécu éveillé, s'exposant à la lumière la plus crûe. En attendant s'impose l'attente d'une terrifiante incarnation qui, le temps de quelques dissonances magnifiquement composées par Jerry Goldsmith (en pensant aux angoissants glissandos de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Béla Bartok utilisée par Stanley Kubrick dans Shining en 1980), vérifierait la secrète obscénité et le fascisme intrinsèque à un environnement artificiel parasité par un hôte longtemps caché. On verra notamment comment Alien assure la liaison esthétique entre le secret consistant dans la capture et l'examen du monstre et les sécrétions qui en caractérisent l'horrible vitalité.

 

 

 

 

La libido,

ses objets partiels et ses montages machiniques

 

 

 

 

« Je vois mal comment nous n’entrerions pas en lutte avec un être capable de ces propriétés. Mais ça ne serait pas une lutte bien commode. Cette lamelle, cet organe, qui a pour caractéristique de ne pas exister, mais qui n'en est pas moins un organe – je pourrais vous donner plus de développement sur sa place zoologique – c’est la libido » (Jacques Lacan, opus cité). Et Slavoj Zizek renchérissant une nouvelle fois : « L'alien c'est la libido comme vie pure, indestructible et immortelle (…), le Réel dans sa dimension imaginaire la plus terrifiante, en tant qu'abîme primordial qui avale tout, qui dissout toutes les identités (…), reste non castré, l'objet partiel indestructible, séparé du corps vivant pris dans la différence sexuelle » (op. cit., pp. 73-75).

 

 

 

La lamelle, c'est donc la libido dans toutes ses manifestations. C'est la pulsion de mort comme abîme de vie pure et indestructible, survivant à toutes les divisions, immortelle. C'est le réel dans toute son horreur, tout son excès, tout son débord. La lamelle ou la libido se déploie dans Alien en déployant toute une batterie d'objets partiels, toute une série de configurations organiques et machiniques dont les mutations giclent en indiquant la vie excessive car excessivement persévérante.

 

 

 

C'est d'abord un œuf testiculaire trouvé dans un cocon qui s'ouvre comme un chou-fleur. C'est ensuite le « facehugger » qui en jaillit comme un diable à ressort et dans un élan éjaculatoire en s'agrippant au visage du personnage de Kane (John Hurt). La grosse araignée jaunâtre dispose d'un tentacule étranglant sa victime et son intérieur ressemble à un vagin lui permettant de pratiquer une insémination en forme de viol buccal. On en profite pour souligner une vieille intuition accréditée depuis par la préquelle Prometheus réalisée par Ridley Scott en 2012 : le monstre est en sa constitution biologique même programmatiquement destiné pour que sa physiologie lui permette d'attaquer spécifiquement les êtres humains. C'est encore le « chestbuster » qui sort du thorax de son malheureux hôte lors d'une séquence de repas à jamais mémorable (la rumeur dit que les acteurs ignoraient qu'une poche d'hémoglobine allait exploser depuis le corps de John Hurt, d'où leur surprise qui semble en effet non feinte). Une espèce de ténia cireux et phallique à la dentition argentée oblige l'homme contraint à en assurer la gestation à devoir mourir en couches dans d'atroces souffrances (cf. Michel Chion, ibidem, p. 267). C'est enfin la créature arrivée à maturité. Avec sa boîte crânienne oblongue, son exosquelette indistinctement organique et métallique, et sa gueule saturée d'un bouillonnement salivaire, elle déploie une seconde mâchoire gluante en forme également phallique, tandis que sa queue terminée par une pointe sert sans l'ombre d'un doute à pénétrer par derrière le personnage de Lambert (Veronica Cartwright).

 

 

 

Tout cela a déjà été dit et décrit. Notamment par David Cronenberg qui n'a jamais caché à quel point cette créature fascinante devait sans l'avouer aux formes excessives et monstrueuses de la libido ou lamelle expérimentées dans Shivers Frissons (1975). Tout va effectivement dans le sens de cette hyper-sexualisation en raison de laquelle l'hybridation des genres de la science-fiction et de l'horreur s'expose dans la configuration d'un organicisme ajointant viols buccaux et anaux, parasitisme et prédation, accouplements et accouchement monstrueux, hallucinations intestinales et avortements à valeur excrémentielle.

 

 

 

On ne devra pourtant pas oublier d'évoquer la découverte tardive concernant Ash. Le personnage du scientifique génialement interprété par Ian Holm se révèle être en fait un robot, un androïde caché comme un phasme au milieu de ses ennemis dont il est le parfait semblable, le faux ami. La production de gestes pour rien sinon pour peaufiner la simulation de son humanité concourt à une puissante séduction (il y a chez lui toute une dimension de séduction murnalcienne) qui permet de manipuler les membres de l'équipage et les incliner à accepter malgré les consignes de sécurité en vigueur à faire entrer dans le vaisseau-tanker le corps parasité de Kane.

 

 

 

 

 L'autre ennemi intérieur, le vrai parasite

(l'ennemi capital)

 

 

 

 

La goutte lactée qui perle sur le front du faux ami est plus qu'un détail. C'est un symptôme magnifiquement obscène qui va entraîner, une fois le robot neutralisé après avoir quand même tenté d'enfourner un journal dans la bouche de Ripley (Sigourney Weaver) en reprise du motif du viol buccal, tout un geyser lactescent et spermatique recouvrant son visage déboîté dont la dimension reste indubitablement pornographique. Neutralisé et démantibulé, l'humanoïde Ash explique alors ce pour quoi il a été programmé : la compagnie propriétaire du vaisseau-tanker veut moins le minerai que la créature dont le transport inclut d'y sacrifier tout un équipage ignorant cet avenant obscène à leur contrat. Même neutralisé, Ash est encore capable de pousser le simulacre mimétique jusqu'à reproduire ultimement les suppléments caractérisant le genre humain. Ainsi il fait preuve d'une incroyable ironie, et même de cynisme en accordant aux survivants censés ne pas le demeurer très longtemps toute sa funeste sympathie. Ash expose ainsi sa parfaite complémentarité avec le xénomorphe, moulée dans la guise d'une grande admiration explicitement fasciste à l'occasion d'une scène autrement plus simple et troublante que la métaphysique sentimentale et existentialiste recouvrant Blade Runner (1982).

 

 

 

En conséquence de quoi, la figure problématique de l'ennemi intérieur se voit redoublée. L'androïde est le double du xénomorphe afin d'exposer après tant de sécrétions la vérité jusque-là tenue sécrète : l'ennemi, c'est l'alliance économique de la science et du profit – mieux, c'est la technoscience accompagnant la subordination de la science au profit et, par voie de conséquence, la fausse neutralité de la première parasitée par les intérêts particuliers du second. Le monstre du dehors ne devient la bête du dedans qu'en raison des inclusions exclusives du capital qui désire la bête comme Ash est fasciné par le xénomorphe. Ash est le double de l'alien comme le fascisme suit comme un chien le capitalisme comme le prouve le contexte anglais de la fin des années 1970 avec la montée du National Front. La tentation du fascisme et son dépassement dans une musique dont la disposition martiale prépare aux violences sociales du néolibéralisme, c'est une histoire que raconte à la même époque la plus grand groupe de rock anglais, Joy Division.

 

 

 

Le capital est encore identifié à la compagnie dont l'interface entre le vaisseau et la base se nomme « Mother ». Autrement dit c'est le capitalisme au nom de quoi n'importe qui se retrouve à être un agent économique quelconque se devant d'assurer à son corps défendant les cycles de reproduction du capital comme fait total naturalisé. L'immémoriale civilisation extraterrestre lovecraftienne inspirée de l'antique civilisation égyptienne peut alors rejoindre les monstres modernes de l'impérialisme décrits par Joseph Conrad. Notamment dans Au cœur des ténèbres adapté et modernisé à l'époque d'Alien par Francis Ford Coppola en tournant Apocalypse Now (1979).

 

 

 

Le capital identifié à la lamelle lacanienne, c'est le vecteur de la pulsion de mort, l'accélérateur de la libido dans l'indistinction croissante de l'organique et de l'inorganique. Le capital c'est, allégoriquement, la mère monstrueuse dévorant ses enfants ; c'est la technique qui refoule l'organique mais désire en dégueuler les horreurs en un défouloir obscène. On ne s'étonne pas de retrouver Veronica Cartwright dans le rôle de Lambert, elle qui interprétait le rôle de la fille cadette de Mitch Brenner dans The Birds (1963) d'Alfred Hitchcock. Le parasitisme fascisant du capital, soit tout ce qui faisait alors gerber Dan O'Bannon après l'échec de l'adaptation par Alejandro Jodorowsky de Dune en raison de l'inertie égyptienne des studios hollywoodiens. Et c'est tout ce qui se pressent ou se devine au début du film quand les prolétaires de l'équipage (Yaphet Kotto dans le rôle de Parker et Harry Dean Stanton dans celui de Brett) posent la question concrète du partage des bénéfices et de la répartition des primes entre encadrants et exécutants (Michel Chion y reconnaît à juste titre ce « sens du réalisme social dans la peinture des rapports de classe que manifestent beaucoup de films anglais » : Les Films de science-fiction, op. cit., p. 51). Et cela s'accomplit dans des scènes où brillent des moments de jeu caractérisés par une profusion sonore (comme chez Robert Altman) et un relâchement typique du cinéma du Nouvel Hollywood (Harry Dean Stanton rejoint John Hurt et Ian Holm dans l'excellence), introuvables dans le cinéma hollywoodien contemporain.

 

 

 

Les promesses du contrat, si elles se trouvent subordonnées aux obligations de la loi, excrètent la vérité du mensonge de cette subordination et la réalité obscène de son inversion. Ash le rappelle opportunément : il faut intervenir si un signal de détresse se manifeste. Mais entre le contrat et la loi il y a un intervalle caché, offusqué, celui d'un mensonge appartenant à l'option capitaliste de sacrifier le travail vivant sur l'autel de la technoscience et du travail mort garanti par l'appropriation lucrative de la créature. C'est à cet endroit qu'il faut comprendre l'insistance symptomatique à montrer comment Ripley ne cesse pas d'être contrariée dans l'autorité qui lui revient de droit après la mort de Dallas (Tom Skerritt) et Kane. Ash contrevient ainsi à l'ordre de ne pas faire entrer le corps parasité de Kane dans le vaisseau-tanker ; ensuite Lambert la gifle pour avoir donné ce même ordre ; Parker enfin l'empêche de parler quand il ne la moque pas en compagnie de Brett.

 

 

 

 

Une autorité reconquise,

une féminité sans hystérie

 

 

 

 

En quoi alors consiste Alien, sinon à offrir aussi à Ripley de quoi reconquérir une autorité symbolique mais sans rien céder à une féminité préservée de l'hystérie où s'abandonne Lambert ? Ripley résiste à être incorporée dans le cycle horrible d'engendrement et de génération propre au xénomorphe. Elle se charge en même temps d'une intensité d'être inattendue, toute une chair érotique rigoureusement déliée de l'idée de maternité. D'un côté, Ripley finit le film en maillot court et petite culotte ; de l'autre l'insulte qu'elle adresse au programme de navigation nommé « Mother » est tout à fait significative : « Bitch ! ».

 

 

 

L'une des grandes idées d'Alien consiste à montrer comment une neutralisation relative de la différence des sexes, déterminée par les règles de vie d'un équipage de vaisseau-tanker (on ne s'interpelle ici que par le nom de famille), se distingue en résistant à une dynamique d'indifférenciation sexuelle imposée par les cycles de reproduction de la créature (qui peut choisir n'importe qui, homme ou femme, afin de s'auto-engendrer). C'est ainsi que Ripley réussit admirablement à combiner féminité et autorité dont le couplage est coupé de toute assignation biologique, et prémunie de l'hystérie des compagnons livrés à l'impuissance.

 

 

 

C'est bien l'autorité phallique de Ripley qui la rend si sexy et Sigourney Weaver, à la taille si grande, y aura trouvé le rôle d'une vie. Quand elle accomplit l'évacuation finale du monstre, c'est de l'hystérie maternelle dont elle s'échappe avec le filin envoyé par elle dans le ventre de la créature mais pour l'expulser hors de l'engin, qui s'accroche à la navette de survie comme un fœtus à sa mère. La force du récit d'Alien lui permet ainsi de s'émanciper de son organicisme premier en en dialectisant les enjeux esthétiques et politiques : la mère aura dès lors allégorisé cette salope de capital dont la viscosité trahit qu'elle encule ses travailleurs hystérisés de devenir le nid de ses parasites.

 

 

 

Il faudra à cet égard considérer le recul représenté par la suites des aventures de Ripley. Ainsi, Aliens (1986) de James Cameron réinscrit explicitement la prééminence de la figure maternelle afin de proposer le combat allégorique entre deux manières d'être une mère (biologiquement et par atavisme pour la reine des aliens, par adoption pour Ripley qui se sera acoquinée de la petite orpheline Newt). Dans le film de Ridley Scott (et il y aurait de quoi s'amuser à relever en quoi son prénom entre en consonance avec celui de son héroïne), la position maternelle est ce contre quoi les femmes doivent lutter, y compris quand elle se manifeste sous les auspices du viol (le motif revient dans Thelma and Louise en 1991).

 

 

 

 

Le neuvième passager

 

 

 

 

Un détail le montrerait encore, qui parachève la très grande réussite d'Alien. Il s'agit du passager non compté par le titre français (qui pose un « huitième passager » du vaisseau-tanker alors que le xénomorphe devrait en représenter le neuvième). Il s'agit précisément du chat que Ripley veut sauver à tout prix. Un gag pas si bête est celui où la créature libidineuse examine dans sa caisse le red tabby (le même que dans L'Homme qui rétrécit et dans Diamant sur canapé) mais s'en désintéresse brutalement en tapant dessus, ne sachant que faire d'une forme de vie inadéquate à la dynamique biologique de son autoreproduction.

 

 

 

Le félin rouquin n'est pas le symbole d'une féminité retrouvée (le chat n'est pas une chatte) mais l'indice d'une maîtrise féminine dans le double registre de l'animalité et de la masculinité, qui se double d'une sensibilité maintenue à l'égard du vivant quand bien même sa vitalité l'excède hystériquement.

 

 

 

Le chat s'appelle Jones, on le surnomme Jonesy. Ripley et lui sont les uniques survivants du Nostromo détruit. Son salut enveloppe celui de Ripley, la femme qui le sauve parce qu'elle est soucieuse de préserver la vie de l'animal indifférent à la bestialité parasitaire caractéristique du capital dont la libido est celle d'une amibe. Ou d'une lamelle dont l'ancien camarade de Dan O'Bannon à l'époque de Dark Star livrera trois ans plus tard sa propre version infernale, là encore sous haute influence lovecraftienne, et peut-être plus viscéralement, avec The Thing (1982).

 

 

 

 

3 avril 2016

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