Depuis, la poudre de perlimpinpin cachée dans le romarin est devenue poudre blanche de l'héro injectée dans le sang. Jamais alors ce plaisir du ravissement n'aura frayé comme ici avec les forces
obscures qui travaillent à souffler sur les braises du
junkie en faisant ainsi de l'incendie accidentel où se consume Ilya une séquence de film d'horreur mi-
giallo (la
musique de James Dashow pour
Oedipus Orca d'Eriprando Visconti en 1976) mi-gothique (son visage fond comme de la
cire) projetée telle une vision fantastique sur la toile du cerveau de Harley endormie. Jamais ce plaisir n'aura également consisté à prendre à revers le naturalisme associé à la représentation
de cet infra-monde, caractérisé par sa défonce et l'hystérie requise pour en renouveler le mirage provisoire, avec une temporalité répétitive soumise aux bricolages d'un quotidien de
survie et la scansion rythmique du
fix, et puis sa communauté en lambeaux de toxicos qui passent en un rien de temps de la plus grande amitié à la plus grande des inimitiés.
Jamais, enfin, ce plaisir du ravissement se sera identifié chez les frères Safdie à la puissance de sidération d'un tel regard, proprement médusant, appartenant à une jeune femme rencontrée
par hasard dans le métro, initiée aux drogues dures par sa mère à l'âge de 12 ans, maîtresse SM à 17, vagabonde depuis pas mal de temps, et garante de la relève d'un projet de film avec Vincent
Gallo avorté. Une Ariel de notre temps, qui en un clin d'œil donne des allures blafardes et berlinoises à la gentrification new-yorkaise, y ressuscitant dans les éthers qu'elle dispense autour
d'elle l'esprit de nombreuses figures fauchées (la Wanda de Barbara Loden en 1970 et les toxicos de
The Panic in Needle Park de Jerry Schatzberg l'année suivante, Jodie
Foster dans
Taxi Driver de
Martin Scorsese et Zoë Tamerlis Lund chez
Abel Ferrara, la Nico de
Philippe
Garrel et la Sue d'Amos Kollek, et puis Chloë Sevigny dans
Kids de Larry Clark, et tant d'autres existences cramées, racontées par Lou Reed et photographiées par
Nan Goldin). Une Ariel revenue vivante de cette danse de mort des
zombies new-yorkais pour en
témoigner, pour la rejouer tout en s'en jouant à coup d'aiguilles que sont ses regards-caméras plantés dans la peau de lapin d'un naturalisme aussi
distancié que
distancé. Son
œil cyclopéen s'enfonçant en nous comme on enfoncerait dans le plan un clou, Arielle Holmes enfonçant le clou d'une histoire longue peuplée des parias à jamais décidés à empêcher New York de
tourner en rond en crevant sous le vernis recouvrant les nouveaux ghettos embourgeoisés.
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