"Mein liebster Feind, Klaus Kinski - Ennemis intimes" (1999) de Werner Herzog

Le papillonnement de l'être

« Mes frères en la guerre je vous aime du fond du cœur, je suis et je fus toujours votre semblable. Je suis aussi votre meilleur ennemi. » (Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra [1883-1885] cité par Georges Bataille in Une liberté souveraine, éd. Farrago, 2000, p. 129).

 

 

C'est une danse, un homme et un papillon communément enveloppés dans un geste qu'ils partagent au-delà de tout partage biologique distinguant les espèces, l'homme sensuellement saisi dans un devenir-papillon pendant que le lépidoptère intensifie par sa seule présence tourbillonnaire la présence humaine. Et c'est une offrande amoureuse, le papillonnement commun s'exposant dans toute sa douceur partagée au plan qui en consigne la visitation à la fois gracieuse et toute érotique, en adresse à celui qui l'a filmé peut-être, le regarde, commentant en différé l'inoubliable empreinte au futur antérieur la puissance mémorable d'une image faite pour ne jamais mourir. De part et d'autre de cette limite diaphane, Klaus Kinski et Werner Herzog, l'acteur en proie aux plus sévères crises d'hystérie et le cinéaste qui aura héroïquement fait de cette folie incarnée une passion cinématographique et visionnaire, celle consistant à voir la grandeur du nain depuis l'impouvoir du géant (précisément pendant le tournage de Fitzcarraldo en 1982).

 

 

Une danse excédant toute volonté comme tout calcul, mais aussi une épiphanie s'offrant comme l'expression d'un amour sans objet ni limite, mais enfin un pur événement arraché au heurt chaotique des formes de vie, la musique de Popol Vuh (revenue de Fitzcarraldo puis Gasherbrum, la montagne lumineuse en 1984) exprimant comment, suivant le titre Als leben die Engel auf Erden, vivent les anges sur Terre. Un « cristal d'intensité » comme l'aurait appelé Virginia Woolf, qui donne à penser à celui qui revoit après-coup cette image qu'elle marque la nécessité rétrospective de la peine anciennement éprouvée (le plan conclut Mein liebster Feind, Klaus Kinski – Ennemis intimes (1999) : beaucoup de bruit et de fureur qui en valaient donc bien la peine, en vertu du jaillissement de ces quelques secondes de pure beauté paradisiaque qui contractent mémorablement le présent à son point maximal d'éternité.

 

 

Comme un « papillonnement de l'être » ainsi que le dirait Georges Didi-Huberman pour qui papillonner renvoie à la fois à des « êtres doués de grâce, cette grâce fût-elle vouée aux apparences et au côté léger de la séduction, voire de l'érotisme" comme à ces autres, parfois tel Klaus Kinski les mêmes, « capables de dépense immodérée : êtres voués à la "dépense improductive", à la "consumation", au "sacrifice" de l'inutile » (in Phalènes. Essais sur l'apparition, 2, éd. Minuit -coll. « Paradoxe », 2013, pp. 161 et 163).

 

 

Le 29 janvier 2015


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