ven.

01

sept.

2023

Newsletter 101

La 101ème des Nouvelles du Front, les dernières des dernières.

 

Le temps des adieux avant les avant-dernières choses.

 

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ven.

30

juin

2023

Newsletter 100

Les premiers feux de l'été sont des fusées préparant aux derniers feux des Nouvelles du Front.


Le temps des adieux a commencé bien avant que nous nous y préparions, et même sans savoir que nous nous y attendions. Et si l'à présent est aux adieux, c'est que s'impose un autre temps, celui des avant-dernières choses.


Adieu est une adresse aux ami-e-s, l'annonce de la promesse qui nous lie. On ne devient qu'en revenant et si nous sommes les revenants de nos vies, nous le sommes du cinéma également.


Adieu a aussi ce sens-là, moins cryptique qu'écliptique : Adieu pour dire à la fois Tahya ya Didou ! et Bonjour cinéma.


La centième se voulait un feu d'artifices, c'est en la circonstance un tir de mortier.
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ven.

31

mars

2023

Newsletter 99

Il y a les gens qui se défilent et les autres qui défilent.

 

Les gens qui se défilent disent moi, moi et les autres ensuite.

 

Les autres qui défilent font coïncider le monde intérieur avec le cosmos.

 

 

 

La 99ème lettre d’information des Nouvelles du Front est dédiée

 

à qui jamais ne dira « on s’est tous défilé » et pour qui, depuis toujours, le rouge est mis.

 

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mar.

28

févr.

2023

Newsletter 98

Il existe une variante méconnue de la fable du Joueur de flûte de Hamelin, la connaissez-vous ?

 

 

Dans celle-ci, il y a toujours un village infesté de rats, toujours un jeune magicien qui l'en soulage en soufflant dans sa baguette, toujours les dignitaires qui le trahissent en ne lui versant pas les écus promis. Pour se venger de leur forfaiture, le dératiseur décide d'emmener les enfants du village avec lui comme il l'avait fait avec les rats. Mais, alors, la différence direz-vous ? La variante de la fable raconte en effet comment les enfants sont un jour revenus en faisant de la cité fautive un village des damnés. La damnation des enfants, c'est leur conversion en monnaie d'échange d'un commerce raté. Et l'aîné des enfants damnés aura toujours été le joueur de flûte lui-même, le premier de cordée.

 

 

La 98ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, zéro social) est dédiée à tous les enfants aimés, Pearl et John Harper, Debbie Edwards et John Kenyon, Mark Calder et John Mohune. Les enfants aimés sont ceux qui nous obligent à l'enfance qui est, contre toute immaturité, un appel à prendre nos responsabilités, dans la promesse que le monde est plus grand que papa-maman.

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mar.

31

janv.

2023

Newsletter 97

On a beau le voir arriver : quand le deuil vient, il frappe

et c'est toujours imprévisible, toujours dans le dos.

La seule chose dont on soit sûr avec le deuil

est que le deuil, lui, a de l'avenir.

Le reste appartient aux morts

qui ont cessé de vivre leur vie personnelle.

L'impersonnel de la terre les attend alors

– la métamorphose des dieux, le grand carnaval de la Terre.

Les vivants restent, eux,

les gardiens devenus de la vie des morts,

qui dure bien après eux.

La vie dans les pensées des ami-e-s

donne à panser un peu

et le don de ce peu-là n'est pas rien,

étant presque tout.

Penser ce qui nous arrive, c'est le panser aussi

Panser en pensant à cela qui est le plus difficile :

la vie est irréparable, mais le désir indestructible.

 

La 97ème lettre d'information des Nouvelles du Front est dédiée au vieux major.

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ven.

01

sept.

2023

Newsletter 101

La 101ème des Nouvelles du Front, les dernières des dernières.

 

Le temps des adieux avant les avant-dernières choses.

 

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ven.

30

juin

2023

Newsletter 100

Les premiers feux de l'été sont des fusées préparant aux derniers feux des Nouvelles du Front.


Le temps des adieux a commencé bien avant que nous nous y préparions, et même sans savoir que nous nous y attendions. Et si l'à présent est aux adieux, c'est que s'impose un autre temps, celui des avant-dernières choses.


Adieu est une adresse aux ami-e-s, l'annonce de la promesse qui nous lie. On ne devient qu'en revenant et si nous sommes les revenants de nos vies, nous le sommes du cinéma également.


Adieu a aussi ce sens-là, moins cryptique qu'écliptique : Adieu pour dire à la fois Tahya ya Didou ! et Bonjour cinéma.


La centième se voulait un feu d'artifices, c'est en la circonstance un tir de mortier.
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ven.

31

mars

2023

Newsletter 99

Il y a les gens qui se défilent et les autres qui défilent.

 

Les gens qui se défilent disent moi, moi et les autres ensuite.

 

Les autres qui défilent font coïncider le monde intérieur avec le cosmos.

 

 

 

La 99ème lettre d’information des Nouvelles du Front est dédiée

 

à qui jamais ne dira « on s’est tous défilé » et pour qui, depuis toujours, le rouge est mis.

 

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mar.

28

févr.

2023

Newsletter 98

Il existe une variante méconnue de la fable du Joueur de flûte de Hamelin, la connaissez-vous ?

 

 

Dans celle-ci, il y a toujours un village infesté de rats, toujours un jeune magicien qui l'en soulage en soufflant dans sa baguette, toujours les dignitaires qui le trahissent en ne lui versant pas les écus promis. Pour se venger de leur forfaiture, le dératiseur décide d'emmener les enfants du village avec lui comme il l'avait fait avec les rats. Mais, alors, la différence direz-vous ? La variante de la fable raconte en effet comment les enfants sont un jour revenus en faisant de la cité fautive un village des damnés. La damnation des enfants, c'est leur conversion en monnaie d'échange d'un commerce raté. Et l'aîné des enfants damnés aura toujours été le joueur de flûte lui-même, le premier de cordée.

 

 

La 98ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, zéro social) est dédiée à tous les enfants aimés, Pearl et John Harper, Debbie Edwards et John Kenyon, Mark Calder et John Mohune. Les enfants aimés sont ceux qui nous obligent à l'enfance qui est, contre toute immaturité, un appel à prendre nos responsabilités, dans la promesse que le monde est plus grand que papa-maman.

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mar.

31

janv.

2023

Newsletter 97

On a beau le voir arriver : quand le deuil vient, il frappe

et c'est toujours imprévisible, toujours dans le dos.

La seule chose dont on soit sûr avec le deuil

est que le deuil, lui, a de l'avenir.

Le reste appartient aux morts

qui ont cessé de vivre leur vie personnelle.

L'impersonnel de la terre les attend alors

– la métamorphose des dieux, le grand carnaval de la Terre.

Les vivants restent, eux,

les gardiens devenus de la vie des morts,

qui dure bien après eux.

La vie dans les pensées des ami-e-s

donne à panser un peu

et le don de ce peu-là n'est pas rien,

étant presque tout.

Penser ce qui nous arrive, c'est le panser aussi

Panser en pensant à cela qui est le plus difficile :

la vie est irréparable, mais le désir indestructible.

 

La 97ème lettre d'information des Nouvelles du Front est dédiée au vieux major.

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sam.

31

déc.

2022

Newsletter 96

Parce qu'il y a la douleur (2022)

 

et pour que dure la douceur (2023)

 

 

 

Nous qui désirons sans fin (le cinéma)

 

avons le dur désir de durer

 

du désir que seul dure le doux

 

 

 

La 96ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée à ce nous.

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ven.

02

déc.

2022

Newsletter 95

« Il était une fois un petit cinéaste… petit mais menaçant, à peine cinéaste encore et déjà menaçant, petit et déjà menaçant, petit et cinéaste déjà – Il n’est encore qu’un cinéaste – qui menace – mais tout de même cinéaste assez pour qu’on ait senti, que l’on sente, qu’on lui ait fait sentir, qu’on lui fasse sentir qu’il est, qu’il était menaçant… avec son cinématographe par son cinématographe ; qu’il est menaçant son cinématographe, qu’il menaçait, qu’il menace le cinéma avec son cinématographe, par le cinématographe – que le cinématographe menace le cinéma. Cinéaste pour qu’on sache que son cinématographe menace le cinéma, que son cinématographe soit menaçant, soit une menace. »

 

 

La 95ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée aux gens dont les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer, internationale straubienne, internationale iranienne.

 

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sam.

29

oct.

2022

Newsletter 94

1922-2022 Nosferatu a cent ans, centenaire du vampire.

 

1922-2022 : Marche sur Rome et Meloni - fascisme fossile.

 

La 94ème lettre d'information des Nouvelles du Front est dédiée à qui, en Italie, parle encore la langue de Dante et de Leopardi, des partisans et de Gramsci, de Rossellini et de Pasolini.

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ven.

30

sept.

2022

Newsletter 93

Il y a d’abord le fragment d’une main, la droite, qui tend l’index vers le ciel, celui du saint Jean-Baptiste peint à la fin de sa vie par Léonard de Vinci. Et puis il y a la bouille ronde et sans bouche d’une héroïne de bande dessinée du siècle dernier, Bécassine. Elle aussi a l’index dressé mais la main est celle de gauche. Entre les deux, sur la toile de notre cerveau, combo de salle de projection et de table de montage, surgit Harpocrate.

 

 

 

Harpocrate nomme pour les antiques hellènes la jeunesse du dieu égyptien Horus et la statuaire grecque le représente enfant, l’index posé sur la lèvre. Le geste indique le caractère ésotérique et secret – mystérieux – de l’enseignement reçu. Les deux mains font également une poignée avec une phrase des Enfants humiliés de Georges Bernanos qui rappelle aux maîtres du monde qu’ils feraient bien de se méfier de Bécassine précisément parce qu’elle se tait.

 

 

 

Harpocrate dirait encore le pouvoir (kratos) de Harpo, le dernier des frères Marx, le regard fou et les boucles blondes, le gardien enfantin du burlesque muet, l’infans du cinéma qui sait bien – ce savoir est un rire contagieux – que sur ce dont on ne peut parler, il faut tenir à garder le silence.

 

 

 

L’index n’est dès lors plus le geste autoritaire de celui ou celle qui commande, ordonne ou juge mais une invite au mystère. Le geste de Patricia, déjà, à la fin d’À bout de souffle même si, alors, le pouce remplace l’index. Le geste de Vicky Vitalis, aussi, le doigt posé sur la bouche de Djamila/Rosette dans For Ever Mozart. Le mystère est un mutisme nécessaire et il se dit à la fin du Mépris ainsi : « Silencio ».

 

 

 

La 93ème lettre d’information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est un doigt posé sur la bouche, un silence amical dédié à Harpo/crate.

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mer.

31

août

2022

Newsletter 92

« Car ce qui est tragique chez nous,
c’est notre façon de quitter tout doucement
le royaume des vivants dans un quelconque empaquetage,
et non que les flammes nous dévorent
en expiation de la flamme que nous n’avons pas su dompter. »
(Hölderlin, lettre à Böhlendorf, 4 décembre 1801)
 
La 92ème lettre d'information des Nouvelles du Front cinématographique est dédiée
aux êtres qui résistent à la dévoration par les flammes,
dans la dignité de la flamme dont à sa naissance leur a fait don l'univers.

 

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mer.

29

juin

2022

Newsletter 91

La France a ses démons, le colonial y est un spectre qui hante et bande le national. Nous avons nos anges, terribles parce qu’ils nous trahissent en piquant le rappel de notre condition mortelle, qui nous sont nécessaires aussi parce que leur trahison bat des ailes de la promesse des novations, immortelle.

 

La 91ème lettre des Nouvelles du Front est dédiée à Jean-Louis Trintignant, Julee Cruise et Jean-Louis Comolli en témoignant d’une amitié algérienne indéfectible.

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lun.

30

mai

2022

Newsletter 90

Comme on a une vive pensée pour l’ami dont tout le travail s’est évertué à sauver la part documentaire du cinéma. Ce qui dans la machine relève de la trace et de l’empreinte d’un réel, l’incalculable qui se soustrait à toute maîtrise, échappant aux calculs des maîtres, grands et petits. L’imprévisible qui est l’indice minimal de la possibilité quasi-transcendantale de l’événement, l’immanence de nos vies. L’ami n’est plus, reste l’œuvre dont l’amitié est immense. Avec lui, on n’a pas fini de travailler, quel bonheur. La tristesse n’abolit pas la joie, celle de savoir les fantômes à venir. Le fantôme n’a pas fini de s’entretenir avec nous, loin de là. L’entretien infini avec les spectres, ces revenants sans compter, le promet : l’avenir est à eux, l’avenir est à lui.

 

 

 

La 90ème lettre d’information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée à l’ami Jean-Louis Comolli et tous ses amis, « (…) comme un secret qu’on partage – en doutant de son importance, et finalement c’est peu de choses, mais toi, mais moi, mais nous en faisons partie. La parole n’est pas ce qui se passe au loin ; elle veut toucher ; la main des mots caresse les ombres ».

 

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ven.

29

avril

2022

Newsletter 89

24 avril 2022 : extrême-centre versus extrême-droite, match nul, balle au centre, on n'en sortira pas.

25 avril 2022, lecture du Journal de Franz Kafka. Il s'arrête au 12 juin 1923. Sa dernière phrase est l'énigme d'un monde sans mystère : « Plus que de la consolation est : Toi aussi, tu as des armes. »

 

La 89ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée à qui n'a nul besoin d'aller chercher ce qui a toujours déjà été là, parmi quoi les armes de la critique des armes.

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jeu.

31

mars

2022

Newsletter 88

Proche-Orient ? Moyen-Orient ? Ces notions sont saturées d'idéologie, l'une propre à l'empire de « la plus grande France », l'autre appartenant à l'impérialisme des États-Unis après 1945, de la fin du mandat français au Liban et en Syrie à celle du mandat britannique en Palestine en 1948. On préfère pour notre part les termes de Maghreb et de Machrek. Le premier dit le Couchant en reliant la Mauritanie à la Libye quand l'autre, le Levant après le golfe de Syrte, part de la Palestine pour aller jusqu'en Irak, berceau de la Mésopotamie, le « pays entre les fleuves, Tigre et Euphrate ».

 

 

 

Certains parlent d'un orient compliqué, d'autres d'un Proche-Orient éclaté. La vérité est que toutes et tous, du nord au sud, de l'est à l'ouest, palestiniens et syriens, libyens et ukrainiens, nous sommes des accidentés de l'occident. Nous vivons pourtant dans le dur désir de l'aurore qui est si douce. L'or du levant quand des événements, au cinéma comme ailleurs, arrivent encore à nous faire lever les yeux. Les événements montrent midi pour nous qui vivons à l'heure de minuit moins une sur l'horloge de l'apocalypse, apoplexie du capitalisme, pharmaciens dealers et néofascistes, syndémie et rivalités inter-impérialistes, menaces nucléaires et saillies zoonotiques. Les événements qui soufflent dans notre oreille qu'à la vérité la catastrophe est proche, oui, mais non moins proche que l'orient aussi. L'orient proche, notre secret commun. Et qu'en attendant, oui, nous sommes encore là.

 

 

 

La 88ème lettre des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée aux proches orientaux, aux arabes fidèles au nom de la langue, l'arabe disant d'eux qu'ils sont des nomades et des passeurs.

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lun.

28

févr.

2022

Newsletter 87

Okraïna, Okraïna, c'est notre lamentation du moment. De l'autre côté de l'Europe, il y a un théâtre des opérations où s'affrontent nationalistes et séparatistes, les uns qui roulent pour l'Otan, les autres qui jouent à la Russie, superpuissances rivales et mimétiques, est-ouest twist again. Qui dit qu'il y a lieu de choisir entre deux logiques du pire ? Le minimum syndical c’est toujours penser dialectique.

 

 

 

Les vents d'est sont les flatulences de l’occident admettant difficilement que le monde se lève à l’orient. Les bégaiements de la fin de l'Histoire réchauffent les cendres de la guerre froide, cela brûle les yeux des ignorants. Les cendres recouvrent le corps des peuples otages des États qui ont cru liquider d'antiques antagonismes avant que la forclusion ne tourne en backlash. L'impérialisme est une vieille scie dont les feed-back continuent à couper les branches dans la forêt des peuples. Le capitalisme en son stade ultime dure et dure en martelant ses vieilles manières de faire la guerre au vivant. L'axe du monde est en cours de déplacement historique, des États-Unis vers l'alliance Chine-Russie, et les plaques tectoniques frottent comme jamais. On s'apaise un peu en pensant à Dovjenko.

 

 

 

La 87ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée à qui n'a pas d'empire en ayant les ferveurs égales, qui pense à l’Ukraine en pensant aussi à la Palestine.

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dim.

30

janv.

2022

Newsletter 86

L’écrivain nigérian a dit que les tigres ne perdent pas leur temps à proclamer leur tigritude, ils bondissent sur leur proie pour la dévorer. L’ange de l’Histoire lui emboîterait le pas quand il parle du saut du tigre dans le passé comme un bondissement révolutionnaire. Alors les temps rebondissent en rouvrant la possibilité de l’avenir qui sera notamment une vaste et diasporique polyphonie africaine. La 86ème lettre d’information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée aux tigres en général et à deux tigresses en particulier, Valérie Osouf et Dyana Gaye.

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ven.

31

déc.

2021

Newsletter 85

Un canto dit que ce que l'on aime bien demeure. Ceux et celles que l'on aime bien aussi. Le reste n'est que cendre. Notre seul héritage, il ne nous sera pas volé. Qui pourrait bien nous l'arracher ?

 

 

 

L'année finit en rêvant de la suivante et le rêve est un cauchemar déjà largement réalisé. 2022 qui vient sera une nouvelle année seulement en trahissant l'enchaînement des catastrophes logiques au nom des puissances non effectuées, des potentialités non réalisées. Parce qu'on le sait, le monde possède le rêve d'une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder en réalité.

 

 

 

La 85ème lettre d’information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée aux trafiquants de cinéma comme aux mains coupées qui ont refleuri au Chili. Elle est dédiée aussi à l'ami algérien dont l'absence fait notre faille en nommant notre défaut, celui qu'il nous faut contre toute faillite.

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mar.

30

nov.

2021

Newsletter 84

« L’œuvre d’art à l’art de sa reproductibilité technique », la dernière version du texte de Walter Benjamin, celle de 1939, est un avertisseur d’incendie et elle s’achève ainsi : « Au temps d’Homère, l’humanité s’offrait en spectacle aux dieux de l’Olympe ; c’est à elle-même, aujourd’hui, qu’elle s’offre en spectacle. Elle s’est suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre ». Règne aujourd'hui la pornographie des ruines, raccord avec un ordre qui préfère la fin du monde à celle du capitalisme. Contre un empire dont la volonté est toujours celle du pire, on désire des poétiques qui invitent aux soulèvements, on brûle des insurrections qui soient aussi des résurrections. On, c’est-à-dire tout le monde et personne. On, c’est-à-dire n’importe qui. Ni Blancs ni Noirs, les esclaves qui fuient la plantation sont des marrons qui ont les cimes pour destination. Et dans leur fuite ils cherchent une arme. De nouveaux marronnages nous attendent, ils ont déjà commencé, cryptiques, imperceptibles.

 

 

 

La 84ème lettre d’information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée aux marrons.

 

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sam.

30

oct.

2021

Newsletter 83

Pour qui n'a d'yeux que pour la perdition, les sirènes sont impossibles à suivre. C'est pourtant elles qui ne se noient jamais, elles qui sont les gardiennes de nos chants secrets, du grain des ritournelles que l'on garde pour soi et dont la révélation nous fait pleurer. Pourtant les sirènes n'existent pas. Oui, mais elles consistent. Elles filent une consistance qui fait écumer non de rage mais de joie, une mousse qui permet contre toute immersion de garder la tête hors de l'eau à l'époque du naufrage sépulcral du capital. Quand la pression hydraulique s'accentue avec les glaireux du national, l'écoute des sirènes est une alarme, un horizon au bout des remous de la surface, un sillon entre les vagues.

 

 

 

La 83ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée aux sirènes, en Tunisie et au Soudan, Dita sur la Seine, Daïnah la créole et Thérèse Ariel qui soulèvent l'écran.

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mar.

28

sept.

2021

Newsletter 82

Quand on pense à la sixième extinction, à quoi pense-t-on ? À l'humanité dont la catastrophe est la destination à l'horizon des coïncidences de l'accidentel et de l'essentiel ? À quelques-uns de ses spécimens dont la préférence de la volonté contre la puissance est celle du néant ? À la dévastation d'une désorientation qui va jusqu'à saper notre polygone de sustentation ? Oui et non. Penser engage au pas de côté, un pas en arrière pour un pas au-delà. Penser invite à faire hospitalité à d'étranges personnages qui nous font signe en nous promettant la fête, à faire sabbat. C'est la dyade bancale de la marionnette et du nain dont on ne sait plus qui représente le matérialisme et qui personnifie le messianisme. C'est l'enfant de la sagesse arabo-andalouse qui apprend à devenir le philosophe de lui-même avant que l'éveillé ne retourne dans l'île originelle où, né sans père ni mère, il renaîtra comme renaîtront les enfants que nous sommes quand les adultes s'endorment et qui ne veulent rien.

 

 

 

Quand on pense à la sixième extinction, on y pense comme à ce qui nous arrive de plus intime : la voie perdue est une voix coupée. La 82ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, réseau) est dédiée à la triade des sœurs aphones, Elizabeth, Nahla, Rebekah.

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lun.

30

août

2021

Nos amitiés (hors série, I)

L'amitié a une formule énigmatique attribuée à Aristote par Diogène Laërce : O philoi, oudeis philos.

 

 

La traduction retenue par la tradition philosophique a donné avec Montaigne : Ô mes amis il n'y a nul ami. Jacques Derrida a proposé une autre traduction : A trop d'amis, nul ami. Il faudrait entendre alors que la rareté est la loi non écrite de l'amitié et s'il y a plus d'un ami, l'amitié ne tient qu'à la condition d'une retraite, d'un retrait.

 

 

Entendre dans le contemporain la force inouïe du peut-être c'est faire entendre plus fort aussi l'inouï d'un tremblement princeps, d'un discord à l'origine qui est la voix muette de l'ami d'avant toute amitié et tout ami : la voix de l'accompagnateur originaire, du double placentaire.

 

 

L'amitié est inconditionnelle, elle est impossible en exigeant une confiance sans assurance ni réciprocité en l'autre qui vient peut-être. Son événement répond à l'appel tacite et secret de l'ami dont le respect engage notre responsabilité parce qu'inavouablement elle est la communauté de ceux qui n'ont pas de communauté.

 

 

Des Nouvelles du Front est une forme de cette communauté et elle remercie les ami-e-s qui ont pu et n'ont pu répondre à l'appel de l'amitié. Son édition spéciale d'été a pour titre Nos amitiés et elle leur est dédiée en l'étant aussi à Abbas Kiarostami et Jean-Luc Nancy.

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mer.

30

juin

2021

Newsletter 81

La vague de juin en a presque fini de se retirer. Entre remugles électoraux et hourras footballistiques, la vague laisse sur la grève la communauté désœuvrée des amis endeuillés de l’ami, ceux qui ont l’amitié pour ne pas crever en ne cédant ni sur le cinéma comme aspiration esthétique ni sur l’émancipation comme passion politique – insufflation et respiration.

 

 

 

La 81ème lettre d’information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée à l’ami parti comme aux amis qui restent – leftovers en préparant déjà la prochaine offerte durant tout l’été à faire hospitalité à nos amitiés.

 

 

 

 

 

1) Trois pierres font un cairn pour Nazim Djemaï (1977-2021)

 

 

 

 

 

 

L'ours est roublard mais la rondeur hirsute est l'enveloppé de la fêlure, sa fourrure. Nazim Djemaï est un obsessionnel qui tourne autour d’obsessions dont le trou est partout, à la margelle de ses images comme au fond du puits creusé pour y puiser la matière noire et blanche de ses visions.

 

Il faut une juste mesure qui est une question de distance et de respect, de grands sauts dans l'inconnu des êtres et d'écarts infimes constitutifs des plis de leur mystère. Un autre nom pour ce tact en vertu duquel les êtres, ceux qui sont filmés, ceux qui les ont filmés et ceux qui les regardent, se touchent mutuellement sans se blesser. Un tact fou.

 

Le tact est fou en effet quand la juste mesure est, indiciblement, l’indication de l’incommensurable. La juste mesure est comme un tempo rubato ; c’est un secret que souffle aussi le titre en langue inuktitut du premier film de Nazim Djemaï, qui disait déjà tout et qui continue de le dire aujourd’hui alors que le jour est tombé sur nous : Je ne sais pas.

 

 

 

 

 

 

Qu'il en faille des images dont les caresses en aveugle sont des contacts à distance et des marches à tâtons, des lignes de tact pour des lignes de faille, des affleurements. Qu'il en faille pour n'être au cinéma qu'à raison d'une géographie remaniée qui est la déraison d'une auto-fondation réalisée : Nazim Djemaï sait qu'il est né au cinéma pour en accueillir ses puissances et ses impuissances. Il le sait en sachant avoir été précédé par des géants dont la mort est au fondement mythique des paysages de l'arctique canadien comme de sa naissance en cinéma.

 

Nazim Djemaï a toujours su que la naissance engage aussi celle de la mort et que si naître promet de n'être plus, il mourra en cinéma pour en devenir l'un de ses immortels. Comme les géants qu'il rejoindra dans le sommeil de leur communauté mythique et dont quelques-uns, à l'enseigne de Mabel et Spoke, souffleront la légende aux oreilles des enfants absents.

 

 

 

 

 

 

À peine ombre : le film tourné à bord de La Borde par l'un de ses passagers se tient à proximité de la folie, à son épreuve comme dehors et comme débord et c'est alors qu'il peut témoigner aussi de la folie de l'institution.

 

Dans la folie se tient l'enjeu du désir, inaccessible et indestructible, celui des soignants et des patients, celui de l'institution elle-même et son directeur persévérant, celui de l'homme soigné par La Borde et le film de Nazim Djemaï a consisté aussi à lui rendre la pareille.

 

 

 

 

 

2) Printemps documentaire : mai 2020, mai 2021

 

 

 

S'il y a bien un cinéma qui nous donne à respirer en un temps où l'asphyxie déborde largement le périmètre de la crise sanitaire, c'est le cinéma documentaire.

 

Le documentaire n'est pas un genre, c'est l'une des modalités circonstanciées de son régime de vérité. Le versant documentaire du cinéma est en effet celui qui peut donner des nouvelles du monde en proposant les formes qui en portent le témoignage singulier, images et sons dont les rapports, accords et désaccords s'expérimentent à l'épreuve renouvelée du réel.

 

 

 

 

 

3) L’actualité est au désastre, la preuve inégale par trois

 

 

 

  • Drunk de Thomas Vinterberg

 

 

 

L'ivresse est à la jeunesse quand la gueule de bois revient aux maîtres qui ne sont plus tout à fait jeunes et pas tout à fait maîtres. Dans Drunk l'autorité l'est au fond si peu, chez soi comme au boulot, qu'il faudrait y remédier. L'alcool est un remède ; c'est aussi un poison pour les maîtres qui doivent se brûler les ailes afin de redonner sens et vie à leur autorité désavouée.

 

Alors, à la fin, quoi ? Mieux vaut un alcoolique comme Winston Churchill qu'un Hitler qui détestait la boisson. D'accord, la leçon du professeur d'histoire, et du film de Thomas Vinterberg qui s'en fait le relais, est bien chaloupée. Mais le nez rouge, le regard humide et la voix bredouillante des maîtres anciens et actuels ne suffisent pas à dissiper dans les vapeurs d'alcool l'idée de refonder une autorité sur des bases autres que l'éducation des éducateurs qui célèbrent les dominateurs.

 

 

 

 

 

 

Deux copains tombent par hasard sur une grosse mouche de la taille d'un chien. L'un des deux persuade l'autre de la dresser afin d'en faire plus qu'un animal de compagnie. Le plus drôle est que ça marche mais il n'est pas dit que le plus drôle ne soit pas aussi le début du plus terrifiant.

 

Quand le cinéma domestique se confond avec à la domestication du cinéma, une grosse mouche s'apparente à un bon gros toutou. C'est aussi une machine molle, déjà un drone, bientôt une arme de guerre. Et puis, une mouche à merde, même énorme, reste une mouche à merde. La seule différence étant qu'elle est plus grosse.

 

 

 

 

 

 

Au lecteur d'ouvrir la boîte noire du Silence de Don DeLillo. Au silence mat de l'écran noir répondra la parole muette qui se soutient du blanc de la page écrite.

 

Le lecteur pourra expérimenter alors la puissance esthétique d'un écrivain héritier de J. G. Ballard et de Samuel Beckett. Don DeLiilo est l'éclaireur d'un monde qui porte encore la promesse silencieuse de choisir une autre voie que celle de la catastrophe devenue l'assourdissant bruit de fond du contemporain.

 

 

 

 

 

4) À contretemps, en deux temps

 

 

 

 

 

 

Malika veille, elle est une gardienne du seuil, la gardienne des seuils. La veilleuse ne le dira jamais mais elle le sait, elle seule connaît son imprenable secret. La gardienne ne le raconte pas mais le montre à qui saura voir que l’apparent trou du cul du monde révèle en réalité son ombilic : omphalos, axis mundi.

 

 

 

 

 

 

Toute révolution est un coup de dés a besoin de quoi ? Un site chargé d'histoire, neuf personnes vivantes, un poème. C'est ainsi qu'il évalue le devenir spectral de la Révolution, cryptique comme un poème vivant malgré les cryptes de pierre du cimetière. Jean-Marie Straub et Danièle Huillet en ont besoin au moment où la lucidité politique leur a permis de voir que la promesse révolutionnaire était alors en train de perdre sa consistance et son urgence.

 

La révolution s'est obscurcie, elle est devenue un cryptogramme énigmatique. S'il a remplacé la fable prophétique d'un matérialisme historique ossifié, c'est en s'ouvrant à un devenir hasardeux, ouvert à tous les possibles – à tous les coups de dés. Ce que comprennent Danièle Huillet et Jean-Marie Straub dix ans après Mai 68, Louis Althusser l'écrira dix ans après eux : si le matérialisme a encore de l'avenir, c'est en étant celui de l'aléatoire.

 

 

 

 

 

5) Les Reflux du flux, mai-juin 2021

 

 

 

Navets d'exploitation qui refoulent du goulot et étoiles mortes d'auteurs fossiles, bidules hors radar et curiosités atypiques, grumeaux infréquentables et coups de bol improbables : Les Reflux du flux imagine les aventures erratiques du regard cinéphile jeté dans la nébuleuse du streaming où le « tout est possible » n’est pas systématiquement celui du pire.

 

 

 

La Nurse (1990) et The Devil and Father Amorth (2017) de William Friedkin ; Oxygène (2021) d'Alexandre Aja et Blade Runner 2049 (2017) de Denis Villeneuve ; Le Beau Serge (1958), Les Cousins (1959), À double tour (1959), L’Œil du malin (1962), Ophélia (1963), Marie-Chantal contre docteur Kha (1965) de Claude Chabrol ; Army of the Dead (2021) de Zack Snyder

 

 

 

 

 

6) Les musiques de juin en cinq joints

 

 

 

Une ritournelle de Gaëtan Roussel, la vie étendue de Mark Hollis, les camaraderies arabes épiques de Mashrou Leïla, une attaque cosaque de Scott Walker, la déshominisation d’Alain Goraguer

 

 

 

 

 

7) Une rose des sables et un arbre de mai dans le jardin d’essai du Rayon Vert

 

 

 

La noyade est partout et, pourtant, il faut tenter d'y survivre. La mémoire est le radeau quand la vie est un naufrage. Entre le soleil et la mer, entre le flux et le reflux, un cinéaste icarien désire sauver et l'instant éternisé et la vie sans arrêt.

 

Chez Guy Gilles, la naïveté des sentiments touche avec la fébrilité du trait au nerf d'une fragilité existentielle, d’une hyper-sensibilité. Quand l’intermittence des plans est un battement de paupière, le montage est un vent soufflant que rien n’est plus beau qu’un amour, sinon son souvenir – l'éternité retrouvée.

 

 

 

The Wicker Man – Le Dieu d'osier jouit aujourd'hui du statut de film-culte, exemplaire d'un sous-genre du cinéma d'épouvante apparu au mitan des années 60-70, la folk horror. Le film de Robin Hardy s'apparente pourtant davantage à un pastiche libertaire d'enquête policière. La peur s'y voit constamment contredite ou déplacée par un rire persifleur moquant le sérieux amidonné d'un policier de Sa Majesté, d'autant plus quand le fonctionnaire est un bigot.

 

Il faudra attendre la toute dernière séquence pour reconnaître que l'horreur avait en fait toujours été là, prenant des chemins escarpés et sinueux afin d'irradier à retardement. Le film de Robin Hardy reste incandescent quand, avec la lucidité aveuglante du soleil à son zénith, son rayonnement peut éclairer le nadir de l'occident contemporain.

 

 

 

 

 

8) Une constellation : le nouveau numéro d’Éclipses dédié au cinéma de Bong Joon-ho

 

 

 

 

 

 

Si le monstre occupe le centre de l’écran, le monstrueux s’épanouit dans l’écume des intervalles et personne n’échapperait à ses éclaboussures.

 

Les films de Bong Joon-ho jouent à merveille du monstrueux en ne se suffisant pas de la seule horreur du monstre. Ses films de monstre sont des comédies qui savent renouer avec l’énergie primitive du carnavalesque et du burlesque ; ce sont aussi des tragi-comédies rappelant au monde que ses déchets, parias, idiots, enfants, nous font rire parce qu’ils sont plus émouvants. Un rire monstre pour tenir face à l’immonde quand le monde est réel jusqu’au monstrueux...

ven.

28

mai

2021

Newsletter 80

29 mai 2021, le Mur des fédérés n'en finit pas de saigner. Il saigne à chaque fois que le capitalisme a recours au fascisme nécessaire à son insoutenable perpétuation. Les dealers d'opinions tiennent le haut du pavé ; ils le battent à coup de médias démago, de tribunes factieuses et de rassemblements policiers, miasmes d'une République gouvernée par les matraqueurs hystériques de l'identité. Le contrepoison de l'intoxication est une question de pharmacie politique, celle de la fédération égalitaire des humiliés et des offensés, mais la gauche en a ostensiblement perdu la clé, retrouvée par les femmes de ménage du groupe Accor qui ont gagné après 22 mois de lutte et huit de grève.

 

 

 

 

Comment désobstruer nos voies respiratoires ? Comment déblayer nos obscurs terrains d'actualité ? Les terrasses se repeuplent, les cinémas ont rouvert. On est certain pourtant que le confinement a la sévérité perverse de persévérer encore. L'asphyxie incessamment se répand, se diffuse, ramifie par capillarité. Quand l'occident désorienté est le destin d'un monde accidenté, les images de souhait ont surgi en venant d'orient qui nomme une autre aurore en indiquant la possibilité d'un autre levant. L'avenir est l'aurore du passé ; il est aussi la relève du présent dans la promesse tenue de l'instant d'après.

 

 

 

La 80ème lettre d'information des Nouvelles du Front est dédiée aux Palestiniens que tous nous sommes devenus.

 

 

 

  • Hou Hsiao-hsien, la quadrature du cercle

 

 

1) L'orchidée attrape l'abeille en lui faisant croire à la possibilité de l'amour et c'est cela qui fonde, avec l'effusion de sa mélancolie, le réel de son poème. Dans Les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-hsien, la « maison des fleurs » est la serre qui produit ce genre de séduction comme une senteur exotique mais ses exhalaisons sont toxiques. Il faut s'endetter pour les unes et pour les autres il faut payer, payer encore.

 

 

Dans la serre aux fleurs de Shanghai qui est un jardin d'hiver, le rêveur est ailleurs, à l'endroit où l'amour manque. L'amour est ailleurs comme la vie, la vraie qui ne cesse d'être obscurcie par ses copies dont la beauté est empoisonnée. L'amour est hors-champ. C'est pourquoi il faut en suivre la ligne qui est celle de la voie médiane, le vide qui soutient l'insufflation d'un monde sans amour depuis le dehors même où l'amour est le principe, celui du « souffle inouï du oui ».

 

 

2) Cinq souvenirs de la jeunesse de Hou Hsiao-hsien : Cute Girl, Green, Green Grass of Home, Les Garçons de Feng-kuei, Un temps pour vivre, un temps pour mourir et Poussières dans le vent

 

 

Si Hou Hsiao-hsien a connu plusieurs jeunesses, c'est pour mieux relancer les figures de l'enfance qui, toutes, se vivent et s'éprouvent sur le mode de l'ouverture native et de la rupture fondatrice, dans les battements du commencement et du recommencement. C'est cela, après tout, l'enfance : la relève accomplie après coup par l'adulte de l'enfant qu'il n'est plus mais dont le souvenir le fait tenir.

 

 

Le cinéaste taïwanais ne cède pas sur le désir de l'enfant qu'il a été en sachant puiser dans le fond de ressources qu'il aura entre-temps constitué de quoi cultiver la jeunesse dont se nourrissent ses films.

 

 

3) Deux suppléments taïwanais : Taipei Story d'Edward Yang et HHH d'Olivier Assayas

 

 

Taipei Story d'Edward Yang contient plusieurs histoires de solitude et l'une des plus belles concerne l'ami Hou Hsiao-hsien qui y tient le rôle principal. Douze ans plus tard, le documentaire d'Olivier Assayas consacré à Hou Hsiao-hsien est beau aussi quand il témoigne, avec l'absence de l'ami Edward Yang, d'une génération héroïque qui n'existe plus que dans le vert paradis des souvenirs.

 

 

4) Un sixième souvenir de la jeunesse de Hou Hsiao-hsien : The Assassin

 

 

C'est le destin de Nie Yin-niang et sa raison n'appartient qu'à elle, et elle seule. C'est là son cœur battant, un brûlant secret. Une implosion de sentiments comme la gerbe flamboyante de fleurs contenues dans un vase datant de la dynastie des Tang. En miroir, palpite aussi le cœur de Hou Hsiao-hsien qui s'est reconnu dans son héroïne en lui reconnaissant d'allégoriser le destin de Taïwan, le pays d'adoption et lieu insulaire en exception à la Chine continentale.

 

 

Le poète a grand cœur en relevant le défi du nom de sa magnifique interprète. C'est ainsi qu'il peut montrer ce qu'il en est de l'art du cinéma quand il est traversé, à ce point-là, par une telle énergie – un souffle de vie : (Shu) Qi.

 

 

 

 

 

L'exil lunaire de la star japonaise a été une éclipse close sur une assomption stellaire. L'étoile aimée ne l'aura été qu'en chevaleresque respect pour la dame lointaine. L'étoile de cinéma demeurée fidèle à celle de son désir comme Setsuko Hara l'a été en regard du cinéma de Yasujirô Ozu. Si fidèle même qu'elle l'est à la racine latine du terme (desiderare) qui signifie la nostalgie d'une constellation disparue, son désastre (sidus).

 

 

Vincent Van Gogh a un jour écrit à son frère Théo à peu près ceci : « Nous prendrons la mort pour aller sur une autre étoile ». C'est bien cela qu'aura filmé Satoshi Kon, littéralement. Millennium Actress est un sublime mélodrame et si sa poétique est fractale, elle n'en est pas moins digne de l'amour courtois. Saluer une étoile est beau. C'est bouleversant quand le salut est venu d'une comète.

 

 

 

 

 

Comment aller plus loin pour Akira Kurosawa que là où l'aura porté l'admirable récit du méconnu Qui marche sur la queue du tigre ? Comment mieux montrer ce que peut la fiction, qui pousse à ce que sa performance débouche sur l'inclusion radicale d'un réel impensable ? Avec leur déguisement de moines, des samouraïs ont compris le sens profond de leur dissimulation. La feinte les a déportés jusqu'à l'improbable accès d'une forteresse cachée.

 

 

Ces samouraïs ne le sont en fait déjà plus, étant déjà aussi des moines pour lesquels les règles propres à l'ordre seigneurial ont commencé à s'effriter. En marchant sur la queue du tigre sans le réveiller, ils ont sans le savoir trouvé la voie d'une nouvelle orientation. La plus pure des différences, frontière ou queue du tigre, ligne de démarcation et de fuite distanciant les critiques japonaises et américaines. La parallaxe qui exige la part du réel nécessaire à changer de perspective.

 

 

 

 

 

Confucius l'a dit : « Trente rayons convergents, réunis au moyeu, forment une roue ; mais c'est son vide central qui permet l'utilisation du char. Les vases sont faits d'argile, mais c'est grâce à leur vide que l'on peut s'en servir. Une maison est percée de portes et de fenêtres, et c'est leur vide qui les rend habitable ».

 

 

Voilà à quoi sert le MacGuffin de Raining in the Mountain : c'est l'objet rare et précieux du parchemin pourtant anéanti par King Hu qui a composé l'architecture de son film tel un monastère sur roue qui en éclaire le vide central, au diapason du chan.

 

 

 

 

 

Quand Takeshi Kitano regarde le spectateur, il est incroyable à quel point son regard peut porter si loin en plongeant si profond. Deux films importants se closent sur son regard, fin de Furyo (1983) de Nagisa Ôshima et fin de Battle Royale (2000) de Kinji Fukasaku. Et, à chaque fois, son visage donne à l'image la valeur renversante d'un miroir à retardement.

 

 

Fin de Furyo : le sergent Hara qui a ri du Père Noël en sauvant la vie de ses prisonniers anglais parle désormais la langue de son ennemi et l'adresse fraternelle porte la sentence qui s'exercera sur le condamné à mort à qui l'exécuteur ne rendra jamais la pareille.

 

 

Final de Battle Royale : le professeur Kitano est au centre de la photo de classe et elle ressemble tellement à toutes celles qui ont scandé notre scolarité en révélant à quel point ces images innocentes sont peuplées des camarades tombés d'une jeunesse offensée.

 

 

 

  • Apichatpong Weerasethakul, à la fin comme au début

 

 

1) Cemetery of Splendour : Un sommeil royal

 

 

Théâtre des opérations militaire et terrain de jeu enfantin, creux et bosses, bulldozer et dinosaure, agitation industrielle et profondeur archéologique, information câblée et métaphores osées : la circulation moléculaire des signes échangés comme on se passe un ballon est ce qui autorise Apichatpong Weerasethakul à voir au-delà des seules formes molaires du pouvoir militaire.

 

 

Cemetery of Splendour est une lamentation poétique qui, comme le Lamento de l'excavatrice de Pasolini, berce le cœur de son auteur quand l'exil identifiera pour lui la Thaïlande à un « firmament mort ». Et le temps qui vient, passé loin du pays natal, à autant « de jours à jamais inaccomplis ».

 

 

2) Mysterious Objet at Noon : Il était une fois (le démon de midi)

 

 

« Il était une fois » : ainsi commence un premier film, ainsi s'ouvre une œuvre en exposant son désir. Un destin amorcé comme une obsession, une hantise posant d'emblée l'obligation d'un sésame pour voir dans la suite du monde.

 

 

Mysterious Object at Noon est le tracé documentaire d'un processus de mue créatrice d'une fiction hasardée au cours de rencontres représentant la condition aléatoire de la narration. Il propose surtout l'archive d'un grand jeu enfantin et collectif où les improvisations et les fabulations s'entortillent comme des serpents jusqu'à ne plus faire qu'un seul grand cercle mythique – Ouroboros.

 

 

C'est le démon de midi d'Apichatpong Weerasethakul qui désire l'heure la plus courte entre le documentaire et la fiction afin de sonder les profondes couches tropicales du peuple thaïlandais et cultiver les récits-rhizomes de ses réincarnations hypnotiques. Tous ses « Il était une fois », d'avant-hier à ceux qui restent encore à venir.

 

 

 

 

 

Il y a les mélanges de la tendresse de Bourvil, de la peur de Secret Chiefs 3 reprenant le thème de Halloween, de la nervosité post-punk de Pylon, de la mélancolie joyeuse de Grant Lee Buffalo et des blessures New Wave de Tears For Fears. Il y a ensuite les mélodies et ritournelles enchantant les films ludiques et brutaux de Takeshi Kitano. Il y a enfin les mélopées pop, techno et même bagad des films de Hou Hsiao-hsien.

 

 

 

  • Une fleur japonaise dans l'ikebana du Rayon Vert : Quand une femme monte l'escalier

 

 

Keiko est hôtesse dans un bar du quartier de Ginza à Tokyo et celle que l'on surnomme « Mama » supporte de moins en moins de monter l'escalier qui la mène à son lieu de travail. Cet escalier qui donne son titre au film en y associant le destin d'une femme, Mikio Naruse le filme trois fois et chaque reprise marque une différence indiquant la singularité quelconque qu’incarne Keiko. Singulière et quelconque parce qu’elle est parfaitement définie socialement, mais sans autre identité que l’exemple qu’elle expose pudiquement.

 

 

Comme toutes les héroïnes narusiennes, en particulier celles interprétées par Hideko Takamine, Keiko est une singularité quelconque et c’est pour cela qu’elle se tient face à l’irréparable, en étant et restant aimable. Telle qu’elle nous importe de toutes les façons – à sa manière.

mer.

28

avril

2021

Newsletter 79

Quand nous irons battre le pavé lors de la belle journée du 1er mai, on aura en tête des images revenantes et d'autres vagabondes. Il y aura parmi elles des images de cinéma, de celui qui nous soulève et qui nous relève, le cinéma au sujet duquel on tient, même affaibli, en ne cédant en rien sur notre désir de respirer l'air que souffle dans nos poumons l'effort continué de l'émancipation.

 

 

 

La 79ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée à Eric Rohmer, Guy Gilles et Antoine Doinel.

 

 

 

 

 

           Le pot aux roses de l'adulescence : Mandico et Gonzalez, Poggi et Vinel

 

 

 

L’ivresse n'est donc que celle de ses auto-intoxications. Îles désertes et chambres d’adolescents, zones grises et terrains vagues sont les tropes convenus d’un lieu commun, celui de l’entre-soi partagé par la coterie chic des nouveaux dandys de l'adulescence. En jouant les prolongations de l'adolescence, l'adulescence substitue à l'enfance son simulacre puéril.

 

 

 

Avec l'adulescence, ses gadgets flashy et ses mutants sexy, le poème cède la place à la publicité et l'adolescence répudie toute enfance avec un extrémisme qui n'a rien à voir avec la radicalité. Le pot au noir de l'adolescence se révèle alors un pot aux roses qui, selon la fameuse expression d’origine médiévale, invitait à comprendre aussi que le pot était pourri.

 

 

 

Première partie : Ultra Rêve de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, Bertrand Mandico et Yann Gonzalez ; Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico.

 

 

 

Seconde partie : Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez ; Jessica Forever de Caroline Poggi et Jonathan Vinel.

 

 

 

 

 

            Des Nouvelles du Front inaugure une nouvelle rubrique : Les Reflux du flux

 

 

 

À l'ère du spectaculaire domestique, les fantômes du permanent de naguère sont devenus des spectres à la petite semaine, les feux follets d'une industrie de l'audiovisuel qui prolifère paradoxalement sur l'extension même du champ de sa décomposition. Spectralisation du cinéma.

 

 

 

Au miroir des écrans plats, la pharmacie de la vidéo à la demande fourgue sans discontinuer sa came à des insomniaques qui croient encore au messie cinéma. Les Reflux du flux tente de raconter à la fois quelque chose de l'idéologie qui persévère en dépit de l'horizon terminal du post-politique, et quelque chose du cinéma qui insiste en s'apparentant à Dieu qui est mort mais ne le sait pas.

 

 

 

Pour le mois d'avril : The Pool de Ping Lumpraploeng ; Furie d'Olivier Abbou ; Guest of Honour d'Atom Egoyan ; trois courts-métrages de Luc Moullet ; Army of the Dead (2004) de Zack Snyder.

 

 

 

               Laura Palmer est morte, une nouvelle Ophélie. La rivière ourle un voile paradoxal, mélange impur qui se prolonge dans la membrane de plastique qui en altère le flux. Le linceul est la surface gris-bleu dévoilant la profonde interpénétration du profane et du sacré. Avec sa chevelure de serpent, la noyée nous méduse en exposant son désir d'engloutir le monde entier sous les eaux pleines de sa peine – eaux grises jusqu'au grisant, eaux abondantes jusqu'au torrentiel.

 

 

 

Laura Palmer est notre grande sœur, notre héroïne. Elle est l'éclaireuse qui se bat de toutes ses forces contre le théâtre familial abritant toujours le sale petit secret en lui préférant le monde qui est une zone d'indistinction entre le chaos et le cosmos – chaosmos. Sa vaillance est la nôtre et c'est elle qui lui fait à la fin préférer l'alliance électrique des puissances démoniques de la terre.

 

 

 

Extase mystique : Thérèse d'Avila hier, Laura Palmer aujourd'hui.

 

 

 

 

                Zack Snyder's Justice League : L'œil crétois de Zack Snyder

 

 

 

« Seul un dieu peut encore nous sauver » : Martin Heidegger y croyait, à sa manière Zack Snyder aussi. Des dieux en temps de détresse, au contraire, la renforcent quand, avec les pompiers de Justice League, les esclaves d'une technique fétichisée jusqu'à l'obscénité sont, dans le même élan qui s'apparente à la capture de mouvement, les représentants de commerce de la supériorité grandiloquente des happy few sur la masse indistincte des poor many.

 

 

 

Cette masse c'est nous bien sûr et l'œil du démiurge nous regarde en exigeant, avec notre agrément, la nécessité, aussi spectaculaire que réactionnaire, de la transmutation des mythes en kitsch.

 

 

 

 

 

             Si la fin des 400 coups est aussi inoubliable, si elle continue à serrer à ce point le cœur, c'est parce que la montée de la vague nouvelle portée par le film de François Truffaut et son acteur Jean-Pierre Léaud se soutient aussi d'une autre vague. La vague qui vient de plus loin et retombe sur la tête d'une enfance noyée, engloutie dans les eaux glacées du désamour maternel.

 

 

 

Voir la mer c'est découvrir que la mère est morte comme image de désir. Voir la mer c'est boire la tasse pour l'enfant découvrant, avec son enfance derrière lui, que c'est elle au fond qu'il n'avait jamais cessé de fuir.

 

 

 

 

              Proust, l'art et la douleur de Guy Gilles :

 

 

 

Au pan coupé des plans, le biseau des raccords est un baiser de la mort. Guy Gilles, sa hantise aura été celle du temps perdu dont la perte se consomme au présent des souvenirs qui font mal au cœur en faisant tourner la tête.

 

 

 

Tourné pour la télévision, Proust, l’art et la douleur remonte le temps pour voir comment, indépassable, il passe et ne passe pas en déposant au pan coupé des plans – et le biseau des raccords en fait des baisers de la mort – l’insubmersible douleur dont Patrick Jouané est l’ange et le passeur, le passant déjà promis à ne plus repasser. « Nous sommes des cimetières ambulants ».

 

 

 

 

               Les Cahiers du cinéma ont 70 ans : Le passé et le présent

 

 

 

Il y a des revues de cinéma dont l’excellence consiste à ce que l’amour des films témoigne, dans la persévérance du sens critique, des mutations de l’art auquel elles se consacrent. Et puis il y a les Cahiers du cinéma dont l’histoire a rien moins que bouleversé celle du 7ème art.

 

 

 

La revue de cinéma la plus mythique de l’histoire du cinéma constitue en soi une histoire de cinéma qui dure depuis 70 ans. Le temps des anniversaires autorise celui des retours en arrière, ainsi que des retours au présent mélancolique quand l'histoire l'emporte sur l'actualité en force critique et en intempestivité.

 

 

 

En complément, un entretien avec Samir Ardjoum dédié à Eric Rohmer, critique, sur la chaîne YouTube Microciné.

 

 

 

 

           Karl Marx à Bruxelles de Juliette Achard et Ian Menoyot : Un revenant redevient possible

 

 

 

Du visible au réel, il faut une oreille pour voir ce qu'offusque le visible. La diplopie le dit : pour voir à quel point l'Histoire est chose louche, il faut deux images, toujours dialectiser. Pour voir, il faut faire comme les enfants et s'amuser à loucher. En louchant, on verra alors que Karl Marx à Bruxelles est une ombre passagère dans l'immobilité d'une idée.

 

 

 

Un effet de parallaxe, 1848-2020, ouvrant à plus d'un écart parallactique : révolution et démocratie, spectres vagabonds et rêves d'émancipation intempestifs, revenants d'une expulsion l'autre, au-delà toute offuscation. Alors on verra qu'en bas de chez soi, Karl Marx est redevenu possible.

 

 

 

 

 

            Dans notre programmation musicale d'avril, on trouvera des plages canadiennes et des chardons folk, des éléphants suspendus et des feuillets d’Hypnos.

 

 

 

 

 

              Retour au livre Masques blancs, peau noire. Les visages de Watchmen consacré à la série de Damon Lindelof avec un entretien pour Le Rayon Vert en cinq axes et autant d'effets de parallaxe :

 

1) Casser des œufs, pour faire des gaufres ou des omelettes ? ;

 

2) L'effet de parallaxe est le fait des désaxés ;

 

3) Aime-moi et soulève ton masque, les blessures ont besoin de respirer ;

 

4) L'amour, un don divin pour ne pas être un dieu ;

 

5) La meilleure série 2019 est la meilleure série de 2020 (et la meilleure de 2021 ?)

mar.

30

mars

2021

Newsletter 78

« Par leur lenteur, leur indécision, leur inertie, ils nous ont conduits jusqu'au bord de l'abîme : ils n'ont su ni administrer ni combattre, alors qu'ils avaient sous la main toutes les ressources, les denrées et les hommes » : l'Affiche rouge placardée le 7 janvier 1871 sur les murs de Paris assiégée appelle alors à la formation de la Commune et ses mots n'ont rien perdu de leur actualité quand l'époque est à la saturation de l'immonde. Le cinéma nous promet le monde et si le cinéma nous manque c'est parce que le monde nous manque. Alors on se souvient, de Serge Daney comme une étoile du berger et la constellation africaine qui l'accompagne aujourd'hui, Égypte, Algérie, Sénégal, Mali plus une pointe du côté des Philippines. Alors on a une pensée pour Jean-Louis Comolli qui défend opiniâtrement la part documentaire du cinéma comme on défend l'enfance qui nous protège de l'immaturité apocalyptique du présent.

 

 

 

La 78ème lettre d'information des Nouvelles du Front est dédiée aux communards, aux occupants des théâtres, aux passeurs, à tous les porteurs de la promesse qu'il n'y a qu'un monde et des raisons d'y croire encore quand les incrédules en organisent désespérément le discrédit.

 

 

 

Étoile du berger (Daney I) Qu’est-ce qu’un passeur ? Celui qui a besoin de frontières pour les passer et pour faire passer des trésors qu’il n’a pas envie de garder pour lui tout seul. Le passeur passe le filet à l’épreuve du mauvais rebond de la balle et de l’impasse au fond du court. Le contraire du passeur est la passoire personnifiée aujourd’hui par la figure médiatique du commentateur dont les commentaires tiennent lieu, littéralement, de comment-taire.

 

 

 

Le cinéma a été pour Serge Daney un objet d’amour à l’égal de l’apprentissage des langues étrangères, du goût des voyages et du culte de l’amitié. Un objet d’amour guetté par les excès douloureux de la passion du ciné-fils. Le dernier mot du passeur indique la jouissance dandy-hégélienne de se savoir le dernier – Godard pour le cinéma critique et Daney pour la critique du cinéma. Si l'on peut légitimement parler d’un effet-Daney comme il y a eu un effet-Bazin, un effet-Langlois, un effet-Godard, qu'en est-il aujourd'hui, après la mort de la « mort du cinéma » qui n'est pas non plus aujourd'hui la meilleure des vies ?

 

 

 

Mélancolique et gai, sentinelle et sorcière, le critique est un évaluateur qui n’aura pas cédé face à l’empire totalitaire du visuel sur les outils critiques de la modernité, autant qu’un narrateur qui a éclairé du mythe le sens de sa vie en la brûlant à la chandelle du cinéma.

 

 

 

Étoile du berger (Daney II) En dépit de son petit côté sautetien (« Serge Daney, l'Afrique et les autres... »), l'intitulé des deux tables rondes organisées lors des Rencontres Cinématographiques de Béjaïa en 2014 et dédiées à Serge Daney indiquait l'ambition. Elle a été affirmée par Samir Ardjoum, critique et journaliste qui occupait alors les fonctions de programmateur et de directeur artistique des RCB.

 

 

 

C'est à son initiative qu'ont eu lieu deux matinées de réflexion portant sur l'héritage des allers et retours entre la critique de cinéma (un film, comment ça marche) et le goût des voyages (le monde, comment ça va) pratiqués par le critique de cinéma le plus singulier de son époque, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma à partir de 1974 et responsable en 1981 des pages ciné puis rebonds dans Libération avant l'ultime aventure Trafic en 1991. Un critique qui est un penseur, un penseur qui reste un ami imaginaire.

 

 

 

Retour sur une carte postale algérienne envoyée il y a sept ans déjà, comme le temps passe et comme il ne passe pas.

 

 

 

Étoile du berger (Daney III) « Serge Daney, l'histoire, la géographie, la modernité » : une conversation avec Samir Ardjoum sur Microciné.

 

 

 

Constellation Daney I Youssef Chahine, cordialement (première partie : Gare centrale ; La Terre ; La Mémoire ; seconde partie : Le Sixième jour ; L'Autre ; Silence... on tourne).

 

 

 

Les fils nouant et dénouant la sexualité des autres et celle de soi, dans une intimité s’exposant comme extimité et une crudité jamais séparable de toute cruauté, trament organiquement les images d’une demi-siècle d'alexandrins en cinéma. Les images d’une vie de cinéma par le cinéma réinventée sont des battements de cœur et si elles étaient des cartes postales, leur auteur les aurait peut-être signées comme ça : Youssef « Jo » Chahine, cordialement.

 

 

 

Constellation Daney II O Ka est le dernier film en date de Souleymane Cissé, immense cinéaste malien relégué dans les strapontins des festivals internationaux. Le film est beau en étant rigoureusement fidèle à son titre : c’est une maison faite en étagement et les quatre sœurs du cinéaste en tiennent les murs autant que ses piliers. Comme le film qui raconte leur combat contre l'expulsion est un documentaire qui se soutient aussi d’une histoire longue de cinéma venant en relais du rayonnement de mythes millénaires.

 

 

 

Le registre de l’intervention familiale, nécessaire, n’est pas suffisant : d'un côté le documentaire se dédouble en film de fiction ; de l'autre le constat politique est transcendé par le poème aux résonances mythiques. Voilà les quatre piliers fondant la tenue de la maison de O Ka. La bâtisse natale donne au film son modèle architectonique, habité(e) par l’esprit d’un jeune homme de mille ans qui est à la hauteur de son nom en rassemblant autour de lui ses enfants, mobilisant toutes les ressources de liberté et d’insubordination caractérisant l’enfance qu'il reconnaît dans le combat de ses sœurs.

 

 

 

Constellation Daney III Il y a dans toute société nouvelle un crime fondateur qui en fait boiter la nouveauté, il y a aussi comme un crime originel dans tout amour trahi. Un film le sait en voyant dans ces deux crimes l'avers et l'envers d'un seul. Hyènes de Djibril Diop Mambéty est une leçon située d'anthropologie universelle qui, si elle fait entendre le cri viral et mimétique des hyènes, ressemble à l'éléphant ou au zébu des vieux mythes. Et autant à la petite vendeuse de journal qui boitille et vacille face aux imbéciles mais qui ne cède pas sur l'essentiel.

 

 

 

Constellation Daney IV Samir Ardjoum, c'est l'homme de Microcine, la revue de cinéma et de télévision, il a aussi réalisé un film, L'Image manquante. Une lettre. Il y est le généalogiste qui angoisse de ne pas assurer les liaisons dans le roman familial. Il angoisse encore de n’être ni un bon père, ni un bon fils, ni un bon ciné-fils. Le généalogiste angoisse tant qu’il ne sait pas quoi faire des autres histoires qui tambourinent à la porte de ses plans. Il y a pourtant en lui de l’enfance qui le pousse à sortir du cercle de sa ritournelle, et prendre la tangente quand elle se fige en rengaine. Ce qui l’oriente aussi, tout à côté de l’impérieuse fiction constituante des images manquantes, c’est le regard magnétique de ses enfants qui, comme une étoile filante, indique déjà le lieu de sa propre absence.

 

 

 

Constellation Daney V La bouche tordue par un cri d'épouvante est une image absolument terrifiante. La bouche d'ombre est un puits aussi sombre qu'est lumineux le disque solaire de l'éden fantasmé. Dans Manille, le visage du malheureux Julio qui s'est rêvé l'Orphée de Ligaya son Eurydice fond terriblement, enchaîné à l'ombre chinoise de l'aimée et au soleil couchant de l'amour virginal. Surimpression soleil couchant. Fondu-enchaîné, fondu cramé.

 

 

 

Un cliché de mélodrame, frit dans la poêle à cinéma de Lino Brocka, est une irradiation mortelle pour les innocents qui doivent, dans ce monde si mal fichu pour eux, apprendre encore et encore à céder sur tout fantasme comme à cesser toute innocence, voués à la plus radicale lucidité. Walter Benjamin la nommait « l'organisation du pessimisme » qui est un nom pour l'organisation politique des opprimés afin de se brûler au scandale de la réalité mais en toute connaissance de cause.

 

 

 

Constellation Daney VI Certains liront vite Une certaine tendance du cinéma documentaire de Jean-Louis Comolli en y reconnaissant seulement le plaidoyer pro domo d’un réalisateur piqué au vif que son dernier film n’ait pas été retenu par un festival de cinéma. D’autres prendront davantage leur temps en y voyant un nouveau texte d’intervention dédié à la défense inlassable de la part documentaire du cinéma, celle qui protège nos sensibilités des obscénités du marché des visibilités intégrales dont le spectacle global est une atteinte à notre dignité, une offense faite à notre humanité qui a besoin d'ombre et de secret.

 

 

 

On estime cependant qu’il faut ralentir encore le mouvement et c’est alors que l’on peut voir comment le texte vient de plus loin encore, comment il vient en fait de très loin. Et, aussi simple et circonstancié soit-il, la profondeur de temps dont il témoigne à fleur de page participe, avec la fragilité de qui peut son impuissance, à désobstruer notre présent. Déblayer nos terrains d’actualité consiste notamment à voir avec Jean-Louis Comolli que la justice est une ombre et la vergogne sa caresse dans l’affleurement des plans.

 

 

 

  • La rosée du matin du printemps est une programmation musicale comme une rivière à cinq branches, débarquement synthé des envahisseurs, dérapages contrôlés du bolide Wire, les Derniers Poètes qui prophétisent la révolution imminente, le pays des oiseaux de Patti Smith et un cratère lunaire pour le réveil.

 

 

 

  • Une hirondelle du Rayon Vert :

 

 

 

Avec Two for the Road – Voyage à deux de Stanley Donen, la comédie hollywoodienne n'a pas dit son dernier mot, elle en aurait encore sous le capot. Pour sauver les meubles du classique du dépôt au musée des antiquités, rien de mieux que le véhicule dynamique de la modernité. Ce n'est pas que la modernité s'opposerait au classicisme comme le présent au passé, c'est qu'elle en représente au contraire la relève héroïque, à l'heure critique des bilans qui concluent les épopées méridiennes sur le crépuscule de la tragédie.

sam.

27

févr.

2021

Newsletter 77

      Il y a le virus : la pandémie mondiale et l'impéritie sanitaire des États nous projettent dans une mauvaise série de science-fiction et elle dure depuis un an déjà. Il y a plus d'un virus : le coronavirus recouvre de son aile sinistre nos têtes piquetées par d'autres maux épineux. Loi sécurité globale et loi contre le séparatisme sont moins des immunités nécessaires à protéger notre intégrité mise à mal que les symptômes d'une dérive autoritaire et auto-immunitaire. La désintégration est virale et la virulence de ses maux a la capillarité de moins en moins diffuse.

 

 

 

On fait grand bruit aujourd'hui de s'attaquer aux universités soupçonnées de forger l'alliance chimérique de l'islamisme et du gauchisme. On maquereaute plus discrètement les bibliothèques vendues avec le regard torve et consentant des maires sur le trottoir des officines d'extrême-droite. On c'est la convergence schizophrène et bordélique des droites antiques et postmodernes, assimilationnistes et ultralibérales. Ses tenanciers obscènes, cadres jupitériens et rances épiciers, partagent la même absence de vergogne en ne se retenant plus de faire étalage de leur indécence, toute honte bue.

 

 

 

Le capitalisme est le stade terminal et apocalyptique du nihilisme et il n'y a plus depuis longtemps d'anarchistes couronnés. L'horreur est répétitive et prévisible, merveilleuse l'événement de son interruption. Construire de nouvelles immunités collectives au temps du néofascisme déjà là rappelle qu'il n'y a pas de communisme à venir sans qu'il soit un co-immunisme.

 

 

 

La 77ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée aux merveilleuses immunités qu'il nous reste pour respirer, l'amour et les amis, le cinéma et la philosophie.

 

 

 

 

 

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         Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons est un chef-d'œuvre du comics. Imaginer une suite au roman graphique est un pari osé mais relevé par Damon Lindelof dont la mini-série diffusée sur HBO en 2019 est une autre réussite après Lost et The Leftovers. Si le « showrunner » est un narrateur sophistiqué doublé d'un horloger à l'heure de la relativité, c'est en multipliant les effets de parallaxe comme autant de masques à soulever. La déconstruction du super-héros fendille la coquille du manichéisme en dénudant désormais le noyau de la race dont les bavures maculent notre actualité.

 

 

 

Le masque blanc des justiciers révèle des peaux noires scarifiées en donnant à la culture pop la possibilité de vérifier l'actualité de Frantz Fanon. Si Damon Lindelof est notre Jules Verne, c'est en explorateur avisé de la culture saturée de notre temps. Il n'en oublie pas de montrer de quelles omelettes nos histoires sont faites et pourquoi les blessures ont besoin d'air pour cicatriser. Une tâche urgente pour une décennie naissante frappée d'emblée d'asphyxie.

 

 

 

Le présent texte est une version légèrement remaniée du dernier chapitre de Masques blancs, peau noire. Les Visages de Watchmen de Damon Lindelof (éd. L'Harmattan, 2021).

 

 

 

Une conversation avec Samir Ardjoum est disponible dans la revue en ligne Microciné.

 

 

 

 

 

       Eric Rohmer, puissance quatre. La grande affaire du cinéma d'Eric Rohmer tient à ce que les êtres parlants que nous sommes parleront toujours à côté de la plaque de leurs actions. L'écart entre le dire et le faire est constitutif de notre subjectivité et sa comédie, ses bégaiements et ses lapsus, ses failles et ses ratés. Les personnages rohmériens aiment rien moins que raconter des histoires aux autres pour mieux s'en raconter à soi-même. En amour, il y aurait cependant moins de malentendus que de malentendants. L'évidence consiste alors en ce que les dialogues d'Eric Rohmer ont la virtuosité d'être de savants dialogues de sourds.

 

 

 

Avec l'ultime série des Contes des quatre saisons (1990-1998), série ouverte et fermée comme le sont les portes chez Alfred de Musset, la force esthétique du cinéma d'Eric Rohmer se joue à la puissance quatre. Si Conte de printemps est le film de l'éclosion des possibles en tant qu'ils demeurent des possibilités, Conte d'hiver est celui de la persévérance du réel, aussi impossible en soit le retour. Et si Conte d'été est le film des possibles entre lesquels même la jeunesse qui navigue entre eux à vue doit savoir trancher, Conte d'automne est celui des adieux au possible et son frisson fait encore une fois retour avant de disparaître dans la nuit comme une étoile filante, un dernier feu sous la lune.

 

 

 

 

 

         Un festival, encore un ? Et puis quel sens d'en lancer en période de pandémie ? Des festivals, il n'y en aura jamais assez en permettant de faire circuler les films et leur visibilité, ceux qui nous tiennent à cœur, films autres, productions minoritaires, gestes singuliers du cinéma contraire dès lors que le festival a pour ambition de ne pas se cantonner au jeu confiné des mondanités culturelles et des festivités événementielles.

 

 

 

C'est le credo de Gueroum Hammadi et le sens du pari du Festival International du Cinéma Indépendant de Casablanca (FICIC) dont il a initié la première édition, qui s'est tenue du 27 au 31 janvier 2021. Et l'on ne voit pas pourquoi on ne croirait pas l'un des critiques de cinéma marocains parmi les plus respectés, enseignant à l'université Hassan-II de Casablanca et romancier. Une preuve ? Dans la compétition internationale des courts-métrages, l'Anfa d'or a été remis au magnifique Madame Baurès de Mehdi Benallal.

 

 

 

 

 

          L'inspecteur Johnson ne voit pas que le glauque de la traque d'un violeur d'enfants n'est que l'expression d'un glaucome symptomatique dans l'œil de la loi. Il ne voit pas la tache aveugle qui l'empêche d'admettre que la quête du monstre aura fait de lui un autre monstre. Mal pathologique du violeur, mal radical du représentant de la loi se croyant autorisé dans la chasse au violeur à la violer, mal pathologique du policier accédant à l'horreur de sa jouissance surmoïque : voilà les trois cercles concentriques de l'enfer, le mal, sa reproduction et ses répétitions, ses vertiges spéculaires et sa viralité mimétique.

 

 

 

Avec The Offence (1972), Sean Connery trouve son rôle radical pour le film le plus noir de Sidney Lumet, plus mauvais démiurge que jamais.

 

 

 

 

 

      L'obscène est là, ses scènes se multiplient avec virulence à l'orée des années 1970 comme l'acné sur le visage d'un adolescent. L'obscène, qu'est-ce donc ? À l'origine c'est un mauvais présage pour les augures, une gaucherie sinistre que l'on peut entendre aussi en forçant un peu l'étymologie : ob-scène est la scène giclant de son socle en abolissant toute distance, qui vous saute au visage pour loger dans votre corps un œuf pourri à l'instar du facehugger d'Alien.

 

 

 

Scènes anglaises de l'obscène, champ : Frenzy d'Alfred Hitchcock. Le tueur en série est le passeur en obscénité, le profanateur qui produit après consommation les déchets humains du marché du sexe, et qui fait parler de lui en faisant coïncider jactance et jouissance. Et il y a de quoi rire mais le rire est sardonique et seule l'attente est un bien hasardeux qu'il faut cependant hasarder quand l'activisme et le volontarisme sont à la propagation du mal et sa viralité.

 

 

 

 

 

       Dans le cinéma anglais du début des années 70, les eaux claires de l'émancipation se troublent et s'alourdissent de la matière fangeuse du consumérisme et d'une libération sexuelle doublée par son simulacre qu'est la libéralisation des mœurs. Un réel glauque monte des égouts du symbolique pour infiltrer les imaginaires et les corrompre d'une humeur toxique. Les images sont vitreuses, chargées du glaucome des jouissances dont l'impératif s'impose en nouvelle servitude volontaire. L'obscénité est partout.

 

 

 

Scènes anglaises de l'obscène, contrechamp : L’Étrangleur de Rillington Place de Richard Fleischer. Le tueur en série est le gardien discret et urbain de l'obscénité, prédateur patient qui peut attendre des années qu'une société rude et injuste aux prolétaires lui livre ses proies sans forcer, hommes incultes et femmes ayant besoin d'avorter. Il y a de quoi alors rester interloqué et médusé devant la coïncidence parfaite des perversions criminelles et des décisions légales rationnelles.

 

 

 

        Qui est le Juge ? Le tueur en série qui frappe les soirs de pluie est une ombre vagabonde, une silhouette spectrale, un spectre obscène qui mouille en jouissant d'obséder l'enquêteur chargé de l'arrêter. Un mannequin dit ce qu'il en est d'un homme sans visage, sinon celui d'une personne sans personne.

 

 

 

Dans Follow me Quietly – L'Assassin sans visage (1949) de Richard Fleischer, le vide du tueur en série se remplit de pulsions dont les restes engorgent les caniveaux, mais aussi du fantasme ignoré de ses spectateurs qui participent de sa folle entreprise de reconnaissance, symbolique et diabolique. Son identification est une déception nécessaire valant à la fin comme un certificat de désublimation en révélant que le problème est logé aussi dans nos yeux. Avant le Nemo de 20.000 lieues sous les mers, le Juge est un mythe pour autant qu'il n'est littéralement personne.

 

 

 

 

 

          Bartleby, the Scrivener: A Story of Wall Street est une nouvelle de Herman Melville, publié une première fois en 1853 puis en 1856. Scribe dans une étude notariale de Wall Street, Bartleby est employé par le narrateur, un avoué, qui le charge de copier et recopier des actes notariés. Bartleby est aussi consciencieux que silencieux, aussi appliqué que lisse et sans aspérité, acceptant sans broncher de dormir sur son lieu de travail. Jusqu'au jour où Bartleby commence à refuser d'exécuter les instructions qu'on lui transmet, mais toujours en douceur, sans véhémence ni hystérie. Même son licenciement il le refuse toujours selon sa manière particulière, qui ne cesse d'étonner son employeur racontant son histoire. Petit à petit, Bartleby cesse de s'alimenter, dépérit et meurt.

 

 

 

La fameuse formule de Bartleby est celle-ci : « I would prefer not to », c'est-à-dire littéralement, « je préférerais ne pas (le faire) ». Elle serait comme la signature de l'ambiguïté puisqu'elle n’oppose pas un refus, un « non » pur et simple, mais laisse au contraire la possibilité et du non et du oui, d'un côté avec l'ouverture du « I would prefer », de l'autre avec la fermeture du « not to ». L'emploi du conditionnel est évidemment fondamental. Revenir sur le sens de la formule de Bartleby et son mystère que n'épuise aucune interprétation ou expérimentation, c'est voir comment littérature et philosophie forment deux plis différenciés d'une même surface d'écriture, où la pensée se fait poème dans la proximité de l'impensable, de l'impossible à penser qu'il faut penser.

 

 

 

            L'horreur, l'horreur. L'horreur est à la répétition, qui épuise les possibles en empêchant l'advenue de l'impossible.

 

 

 

Y échapper consiste selon le philosophe Frédéric Neyrat à interrompre la continuité catastrophique de l'Histoire. L'interruption est alors merveille, l'interruption est alors révolution.

 

 

 

 

 

          La programmation musicale numérotée 77 est foutraque et hirsute ; mal peignée elle file des beignes avec Wedding Present qui remet du nerf dans un chant de squelettes de Bowie tendance Orwell, avec Manset dans la matrice et Murat qui chante en l'honneur d'un peuple mort, enfin avec Jimi Hendrix profanant le drapeau et Sham 69 qui en appelle à l'unité révolutionnaire de la marmaille.

 

 

 

 

 

  •           Plus la percée d'un rayon vert annonçant le printemps :

 

 

 

The Old Dark House – La Maison de la mort est électrisé d'un rire qui appartient pleinement à son auteur, James Whale. Un rire de baleine, son nom bien sûr s'y prête. Le film est monstrueux en soumettant son paysage gothique, partagé entre une nature apocalyptique et une vieille bâtisse lourde en inavouables secrets, aux pressions marines d'un humour scatologique qui tire de l'arrière-plan psychanalytique un grand fou rire.

 

 

 

Rire immense en brouillant les lignes du genre comme de fouetter l'ordre des sexualités (le verbe to whale signifie rosser, flageller). Rire immense dédié à un amour fou et tabou dont la noyade de James Whale est une ponctuation finale comme une image de vérité pour qui s'est appelé Baleine en lâchant le mot de la fin : « c'est assez ».

dim.

31

janv.

2021

Newsletter 76

Quand tu me fais masque, tu me fais mal, tes gardiens m’étranglent, tes protections m’asphyxient, je ne peux pas respirer, je vais respirer. Quand Jupiter dit qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, nous pensons aux yeux crevés des Gilets Jaunes et nous répondons que les œufs se rebiffent, avec et contre Humpty Dumpty. De quelles omelettes nos histoires sont-elles faites ? Aime-moi et soulève ton masque, coquille fendillée, les blessures ont besoin d’air pour cicatriser.

 

 

Avec les anges John Ford et Pixar, Botho Strauss et Howard Barker, Watchmen et Athéna, la 76ème lettre d’information des Nouvelles du Front est dédiée à l’hommelette de l’espèce humaine.

 

 

 

  • John Ford, l'adieu aux armes

 

 

 

L'Homme qui tua Liberty Valance apparaît rétrospectivement comme un enterrement de première classe du genre, avant les films de Sergio Leone et Sam Peckinpah. Aboutissement du classicisme hollywoodien, triomphe inattendu d'un modernisme qui profite des moyens de la télévision pour rappeler de lointaines origines théâtrales : avec l'antépénultième western de John Ford, le genre est disposé à l'aventure d'une ouverture radicale sur les abîmes d'un cadavre cinématographique à déconstruire sans fin – au cinéma, chez soi devant sa télévision, à la maison et au-delà.

 

 

 

Avec Frontière chinoise tourné en 1966 dans un coin du studio comme au bout du monde, John Ford précipite toujours plus vite le rythme en atteignant aux confins du classicisme et de la modernité. À la vitesse de la lumière – la lumière fossile qu’irradie un astre mort mais dont l’idée triomphe en traversant tous les temps avec la lueur fragile de l'éternité.

 

 

 

  • Mank de David Fincher : le bon mot, le dernier.

 

 

 

Remettre au centre du récit celui qui en aurait été le narrateur marginalisé, voilà ce à quoi s'applique Mank qui offre à son personnage éponyme, le scénariste Herman Mankiewicz, un portrait tout en reconnaissance d'un pair derrière lequel se cache un père, Jack Fincher, auteur du scénario que son fils David a mis vingt ans à pouvoir adapter. Mais la requalification est caduque d'être aussi cousue d'évidence en bégayant souvent ce que les historiens nous ont appris depuis longtemps.

 

Reste que l'hommage au génie hollywoodien faussement méconnu s'ankylose dans le jeu faussé où il est trop souvent gagnant. Avoir le bon mot qui est toujours le dernier lui permet en effet d'incarner la bonne conscience de soi qui est en même temps la mauvaise conscience des autres, forcément.

 

 

 

 

 

 

Malgré des scénarisations consensuelles appareillées au marketing des logiques de diffusion et leur segmentation, les vives émotions qu'arrive à susciter Pixar déferlent dans l'écume des grandes scènes, les inoubliables, celles où tous les génies convergent : vérité de l'image qui est la membrane intermédiaire ; vérité de l'ami qui est l'accompagnateur placentaire ; vérité du film qui a organisé à notre adresse la passe de sa propre idée.

 

Alors l'enfance est retrouvée malgré les pillages consuméristes et le puérilisme dont Disney est le saint patron. L’enfance comme le lieu hors lieu où revient faire signe à l'occasion l'ami imaginaire qui rappelle à la dyade mutilée que nous sommes que le tout premier des génies aura été le placenta. Et que nous avons toute une vie pour apprendre à en faire le deuil. Notre mélancolie consiste dans le deuil du génie perdu, la part impersonnelle à laquelle se dédient le et les génies de Pixar.

 

 

 

 

 

 

Les vivipares-endotomes que nous sommes devons pour naître nous séparer d'une partie de nous-mêmes. Avec la coupure du cordon ombilical, ce que perd le nouveau-né n'est pas sa mère mais son complément anatomique, le compagnon des profondeurs, le premier des passeurs – le jumeau placentaire. Le nombril est sur notre ventre la cicatrice du premier ami perdu, oublié dans l'ombilic des limbes. Le vide qu'il a laissé nourrit en nous la mélancolie de son génie perdu. Nous en retrouvons la mémoire en accueillant les anges et les démons, les doubles et les images, les amours et les esprits qui nous rappellent à lui, ainsi qu'à la dyade mutilée que nous sommes à tout jamais.

 

 

 

 

 

 

Penser c'est se faire à soi-même la guerre qu'allégorise Athéna qui surgit de la tête de son père Zeus déjà toute armée. Si penser, c'est s'ouvrir la tête, forcé par la frappe imprévisible de l'événement, désirer c'est accueillir en soi l'énigme de l'autre dont la place est ce qu'une vie peut penser. Le désir est ainsi ce qui rend la pensée possible et impossible, ce qui la rend réelle en tant que la pensée jamais n'épuise ni sa possibilité ni son impossibilité.

 

 

 

 

 

 

La catastrophe nomme un tournant (strophê), le grand renversement la tête en bas (cata). Les catastrophes s'accumulent aujourd'hui tellement, elles saturent tant notre actualité qu'elles font époque – qu'elles sont l'époque. Être à la hauteur de la catastrophe qui nous renverse la tête consiste d'abord dans la saisie qu'il y a plus d'une catastrophe, ensuite dans la relève de son sens sans dissiper ses effets sensibles au nom du signifiant, enfin dans le tracé d'un chemin éclairant malgré l'obscurcissement la possibilité d'une orientation nouvelle.

 

Le théâtre contemporain offre des scènes pour accueillir et penser la catastrophe d'une modernité qui s'engorge d'elle-même jusqu'à se rendre insupportable, intolérable : catastrophe d'une violence antique dont la perpétuation intègre les effets de désensibilisation paradoxaux de la compréhension analytique et du spectacle médiatique (Viol de Botho Strauss) ; catastrophe du progrès technique qui programme l'obsolescence éthique (Ce qui évolue, ce qui demeure de Howard Barker) ; catastrophe du déjà-là post-apocalyptique et des relations nouvelles qu'il fait naître malgré tout (Graves épouses / animaux frivoles de Howard Barker).

 

 

 

  • Et puis une étoile à cinq branches pour s’orienter en musique, fraternité estonienne de violoncelles, été folk et pop russe, punk rock anglais addictif.

 

 

 

  • Une fleur à trois pétales éclos dans le jardin du Rayon Vert :

 

 

 

Au Rayon Vert, le temps venu est celui des épiphanies. 2020, annus horribilis. Il n'empêche : si l'année passée a été celle de tous les dangers, pour les industries culturelles en particulier, le cinéma est un art qui n'en reste pas moins vivant, comme nous survivant. De fait, le cinéma est partout, dans nos corps et dans nos têtes, dans nos nerfs et dans l'air depuis que l’on sait avec Jean-Luc Nancy que le cinéma est un transcendantal de notre monde – cinémonde.

 

« Comment sans sortir sans sortir » : un récital poétique de Ghérasim Luca à la fin des années 1980 nous y a préparés. Comment s'en sortir sans sortir est l'une des questions posées et imposées à notre présent et elle n'aura été pour nous ni menée ni accomplie sans le cinéma et ses images malgré tout. 2020, annus horribilis, oui. 2021, annus mirabilis ou rien.

 

 

 

Le Dernier des Mohicans ressemble à son héros, une figure à cheval entre les mondes qui traverse les frontières avec une vitesse démonique en déstabilisant subtilement les habituelles partitions. Le dernier des Mohicans se présente alors ainsi : comme le premier Mohican d'un temps qui est celui d'après les Mohicans. C'est pourquoi le héros ressemble beaucoup aussi à l'auteur du film, Michael Mann, en avance sur son temps en même temps qu'il est issu du temps d'avant, un pied dans le cinéma mainstream et un autre dans le cinéma d'auteur héritier du « Nouvel Hollywood », à la fois hypermoderne et néoclassique.

 

 

 

Dans Le Soleil brille pour tout le monde de John Ford, le soleil aura en effet donné en rayonnant pour tout un chacun, démocratiquement. Y compris en éclairant les foyers obscurs de la violence communautaire, raciale et sexuelle. Mais le temps est venu aussi pour le soleil de commencer à se coucher en laissant au spectateur le souvenir intense d'un inoubliable occident.

 

 

 

  • Enfin, la sortie de notre nouveau livre, Masques blancs, peau noire. Les visages de Watchmen, paru aux éditions L’Harmattan et disponible depuis le 25 janvier.

 

 

 

Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons est un chef-d'œuvre du comics. Imaginer une suite au roman graphique est un pari osé mais relevé par Damon Lindelof dont la mini-série diffusée sur HBO en 2019 est une autre réussite après Lost et The Leftovers. Si le « showrunner » est un narrateur sophistiqué doublé d'un horloger à l'heure de la relativité, c'est en multipliant les effets de parallaxe comme autant de masques à soulever. La déconstruction du super-héros fendille la coquille du manichéisme en dénudant désormais le noyau de la race dont les bavures maculent notre actualité. Le masque blanc des justiciers révèle alors des peaux noires scarifiées en donnant à la culture pop la possibilité de vérifier l'actualité de Frantz Fanon. Si Damon Lindelof est notre Jules Verne, c'est en explorateur avisé de la culture saturée de notre temps. Il n'en oublie pas de montrer de quelles omelettes nos histoires sont faites et pourquoi les blessures ont besoin d'air pour cicatriser. Une tâche urgente pour une décennie naissante frappée d'emblée d'asphyxie.

jeu.

31

déc.

2020

Newsletter 75

2020, année zéro, toxique.

 

 

 

Partout l'on étouffe, pris à la gorge. Partout jaillissent des violences auto-immunes, jusqu'à l'asphyxie. On a pendant des années supprimé des lits d'hôpitaux en nous surexposant aux dévastations zoonotiques vomies par l'anthropocène. Et, en guise de réponse politique à nos demandes de protection, la police matraque, le capital licencie à tout va et l'État qui arme ses gardiens ferme restaurants et musées, théâtres, bistrots et salles de cinéma.

 

 

 

L'état d'exception mondial a ses contagions virales qui font la guerre aux exceptions, forêts incendiées et peuples embrasés.

 

 

 

La question politique n'aura à ce point jamais autant été celle de la construction de nouvelles immunités - l'immunisation au sens neuf d'une climatisation, d'une civilisation pour respirer. Nous faut-il apprendre à respirer autrement ou bien réapprendre à respirer ? Quand la culture agonise, l'art persévère à faire ce qu'il peut faire de mieux : résister et créer. Quelques films ont ainsi réussi à traverser l'éther du langage binaire en montrant que, en dépit de la suspension de l'expérience anonyme et collective de la salle, le cinéma est à sa place partout et nulle part dans le monde du ciné-monde.

 

 

 

Vieux de 2.500 ans, un bas-relief conservé au musée de l'Acropole d'Athènes indique, avec l'image d'Athéna songeuse, comment la déesse née armée en fracassant la tête de Zeus demeure à l'heure critique de la désorientation généralisée l'allégorie de notre destin : être pensif équivaut à n'être rien d'autre que combatif.

 

 

 

Aux Nouvelles du Front (site, blog, Facebook), on y croit, on ne peut pas ne pas y croire :

 

2020 annus horribilis ; 2021, annus mirabilis ou rien.

 

 

 

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     « Je filme avec les oreilles » : si filmer l'autre est la grande affaire du cinéma (documentaire), pour Nicolas Philibert elle se joue décisivement dans le conflit des muets et des parlants. Entre ceux qui ont la parole et les autres qui ne l'ont pas, entre ceux qui l'accueillent et la suscitent et les autres qui la prennent en la prenant parfois aux autres, il y a un litige, plus d'un litige qui creuse la différence en faisant les meilleurs films de Nicolas Philibert.

 

 

 

Nicolas Philibert, hasard et nécessité de Jean-Louis Comolli y insiste en toute amitié : le regard de l'autre qui nous met en relation avec lui garde une part de silence et d'opacité, une part de réserve insaisissable et d'énigme inaccessible dont l'oreille est un site privilégié.

 

 

 

     Jacques Becker, l'homme pressé (I, II, III, IV, V). Les personnages de Jacques Becker vont vite, si souvent pris en flagrant délit de courir après l'instant d'après. Les êtres pressés le sont par le temps qui ne se fait pas attendre, au point d'en laisser plus d'un sur le carreau. Ils courent après le temps qui les laisse souvent sur le carreau (Dernier atout, Antoine et Antoinette), quand il n'est pas le carreau qui les atteint en plein cœur (Goupi Mains Rouges). Reste alors la carcasse du temps dont le film est le caveau, l'hypogée (Falbalas). La vie est vécue tantôt une comédie quand l'horloge interne est un sablier qui se retourne constamment sur lui-même (Rendez-vous de juillet, Édouard et Caroline), tantôt une tragédie quand le sablier est cassé en laissant fuir l'or du temps (Casque d'or, Montparnasse 19).

 

 

 

Le temps presse pour Jacques Becker, celui de la séduction comme luxe esthétique et de l'activité créatrice comme éthique. Il faudrait cependant courir plus vite encore après des choses qui n'existent pas, ces fictions qui sont des sublimités en rendant l'existence, malgré l'inconstance des inconséquents, si consistante – l'art et le geste, le style et l'idée, l'amour et l'amitié, le pardon et la liberté (Rue de l'Estrapade, Touchez pas au grisbi, Ali Baba et les 40 voleurs, Les Aventures d'Arsène Lupin).

 

 

 

Décédé d'une hémochromatose à l'âge de 53 ans, Jacques Becker savait pendant qu'il tournait Le Trou que son temps était compté. Le temps lui était compté depuis le début parce que son mal est une maladie héréditaire. Mais le compte n'y était pas tant que le film n'aurait pas été achevé (Jacques Becker décède le 21 février 1960, Le Trou sort le 18 mars). Le temps est compté pour l'homme pressé qui n'aurait donc jamais cessé d'être en quête de l'or du temps cher à André Breton. L'ultime film de Jacques Becker est probablement, plus encore que le pourtant sublime Casque d'or, son chef-d'œuvre absolu aussi parce qu'il est un autre trou vertigineux – le trou par lequel, tel un effet de sablier, le plomb de la mort se convertit en sable d'or de l'éternité.

 

 

 

     Il y a dix ans, Zombies de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval organisait dans les marges ombragées de Low Life une cérémonie secrète en compagnie de treize gardiens dédiés à cultiver les trésors communs de notre humanité, amour et résistance, jeunesse et poésie, égalité et différence, insurrection et révolution. Depuis, une décennie a passé, un tunnel qui s’apparenterait davantage cependant à l’Underground Railroad. Zombies revient avec un nouveau montage resserré, aux arêtes plus vives, et un nouveau titre : Saxifrages.

 

 

 

Le film revenant donne à la ritournelle de l’intraitable jeunesse l’éclat smaragdin d’une incarnation nouvelle, désormais accordée à ces plantes sans racines chères à René char dont le destin prométhéen, offert à l'aléa des vents, est une douce persévérance doublée d’une imperceptible intransigeance. Celle qui, dans la durée, impose à la dureté des pierres la patience qui sait les faire éclater.

 

 

 

     Et puis encore une quinte musicale en forme d'antitussif pour reprendre son souffle, entre rock et glam, entre folk et rock : Passion Fodder + Honey Bane + Da ! + The Mamas and Papas + Mott The Hoople.

 

 

 

     Et puis aussi une constellation rétrospective dédiée à 2020, malgré tout, Talking About Trees et Le Miracle du Saint inconnu, Le Cas Richard Jewell et Histoire d'un regard, Les Siffleurs et La France contre les robots, le cinéma de Christophe Clavert et un triptyque de Ian Menoyot, Abou Leïla et Tlamess, Akira et deux Cronenberg, El Medestansi et 143 rue du désert, SatanTango et India Song, Fin de siècle + revoir tout Jean Renoir, tout Jacques Becker et tout Ida Lupino + Barbara Stanwyck, reine du Pré-Code + Watchmen, meilleure série de 2019 qui l'est plus encore en 2020.

 

 

 

     Enfin, une efflorescence accueillie dans le jardin belge du Rayon Vert :

 

 

 

West Side Story, film phare et film fétiche, toujours déjà vu et jamais regardé pour ce qu’il est vraiment, joue un double jeu. L’intégration dans le musical de clivages sociaux alors originaux, générationnels et raciaux, appartient à un spectacle monumental inséré dans un programme urbanistique où la démocratie culturelle légitime la gentrification des quartiers populaires. Le contexte est alors pour les États-Unis celui d’une reconfiguration à la fois territoriale, culturelle et même géopolitique et le film de Robert Wise et Jerome Robbins y participe en bombant suffisamment le torse pour valoir comme monument publicitaire d’un creuset national grumeleux, et d’un genre hollywoodien moins triomphant que déclinant.

lun.

30

nov.

2020

Newsletter 74

     La paranoïa de l'État enfle de pulsions despotiques. Le capital déteste tout le monde et ses gardiens nous le font savoir en tapant toujours plus fort sur nos têtes, le jour et la nuit. Étouffer dans l'œuf la possibilité d’une vie autre nous sort par les oreilles et par les yeux. Pourtant, sans fin nous désirons respirer, nous qui vivons dans l'impossibilité de ne pas entendre et de ne pas voir. Nous qui pouvons notre impuissance savons que les têtes d'œuf qui font des omelettes de nos vies ne vont pas tarder à tomber du mur et s'écraser sur le sol de nos vaillances et de notre persévérance.

 

En attendant, nous suivons dans l'autre nuit une Ariel d'or et d'Argento à qui l'on dédie la 74ème lettre d’information des Nouvelles du Front (site, Facebook, blog).

 

 

 

     Dire que David Lynch est l'un des plus grands artistes schizo en cinéma consiste à admettre qu’avec lui tout est production et rapport de production, tout est machine, machine de machine et machination à l'infini : schizoïdie.

 

Les films de David Lynch sont des invitations à la dérive schizoïde, offertes au spectateur désireux de renouer avec le schizophrène qu'il y a en lui et que la société réprime, pour sortir prendre l'air et partir en balade à ses côtés, en forêt.

 

Alors l'inconscient n'est pas ou plus seulement une scène de théâtre, c'est selon la perspective adoptée tantôt un asile, tantôt une usine, tout à la fois un plateau de cinéma, un talk-show, une installation d'art contemporain, une scierie.

 

Dédiée à la consumation de qui marchera toujours avec le feu, Laura Palmer demeure entre toutes la plus émouvante éclaireuse des bigarrures lynchiennes. La palme du cœur revient à celle qui sait bien que l'argent c'est de la merde mais qui, quand même, n'hésite pas à brûler la chandelle de sa vie par les deux bouts pour changer la merde en or.

 

3 premières séries : Le grain des surfaces ; Fleurs bleues, anges bleus et bleus à l'âme ; Sorcières rouges, brûlent les femmes.

 

4 autres séries : Doubles, démons et anges nécessaires ; Passages dans les herbes et belles plantes domestiques ; La terre enfle, y germine la vie ; L'O à la bouche.

 

3 séries suivantes : Le visage, le masque et l'horreur (des figures, défigurations) ; Mutilations moignons, prothèses machinations ; Têtes couronnées, décapitées, décervelées (acéphales supernovas).

 

3 dernières séries : Foire aux épices, carnaval des épiciers ; Ce qui arrive dans le monde arrive au monde ; La tuyauterie humaine est un rhizome percé de mille trous.

 

 

 

     La Senne, rivière enfouie, nymphe profanée et punie de l’avoir été. Ian Menoyot y a tourné plusieurs fois et, après bien des catabases, il en est revenu avec un triptyque dédié à l’ondine prostituée dont Bruxelles a bien profité avant de l'enfermer dans les souterrains d'un infernal voûtement. Comme si la princesse était devenue un dragon.

 

Le triptyque de la Senne est un poème orphique en trois panneaux qui ouvrent sur la fascination d'une reconsidération après toute sidération, d'un désœuvrement après toute volonté de néant.

 

Alors la rivière morte-vivante débouche sur une vallée d'hospitalité, accueillante pour des ombres qui ont de l'avenir et des spectres qui durent, reliée souterrainement à une vallée alpine dont les paysages avèrent qu'elle est après la vallée de la Senne une autre vallée de la paix.

 

 

 

      Maudit ! n'est pas la fiction fantaisiste d'une malédiction cryptique mais une fantastique traversée du miroir, le cauchemar éveillé d'une histoire mal dite.

 

Maudit qualifie dans le film d'Emmanuel Parraud celui dont on dit du mal et dire du mal est un mal dire antique dont les rayons ensorcellent, en brûlant en profondeur et en montant jusqu'au ciel.

 

Le marronnage est un génie hérétique dont on ne cesse pas de célébrer l'éternel retour.

 

 

 

     Sortir du 19ème siècle est un impératif catégorique pour aujourd'hui. La Route de Cayenne de Christophe Clavert en rumine l'exigence politique à l'heure où le libéralisme qui s'acoquine si bien avec le racisme se confond toujours plus avec un naturalisme.

 

Entre la faim qui retourne le ventre des nouveaux prolétaires et l'ivresse qui tourne la tête des vieux bourgeois antiquaires, le chemin de l'exigence est fourchu en impliquant de reconnaître dans le vagabond noir l'enfant maquillé de la chanson, « l'enfant trouvé que vous avez perdu ».

 

 

 

    A Lua Platz documente avec le bidonville à la fois le côté pile du rapport de force et la face subjective de son investissement militant et politique.

 

Le film de Jeremy Gravayat indique ainsi qu'il y a un monde du droit peuplé à foison de sans-droits et qu'il y a aussi un autre monde possible et toujours déjà là dont l'histoire parallèle est une histoire peu vue et mal dite, clandestine. Une histoire française mais pas franco-française de la solidarité et de la dignité bien plus que de la pauvreté dont la narration relie depuis un demi-siècle La Courneuve à la Roumanie.

 

A Lua Platz dédie ainsi la fleur épidermique de ses archives de cendre et de limon à un département qui retrouvera le sens de son histoire en faisant honneur à tous ses habitants – c'est-à-dire en leur faisant bonne place.

 

 

 

     Dans la boîte à musique du mois, on trouvera des oiseaux-tempêtes qui tiennent en bec un serpent et l’immortel Alain, la tristesse de cendre de Magdalene et deux éruptions volcaniques de Lizzie Borden.

 

 

 

          Et deux fleurs cultivées dans le jardin du Rayon vert :

 

 

 

     Pour l'inégal John Huston, l'important n'aura pas été d'être constant sauf dans l'échec. Certains de ses meilleurs films ont ainsi réussi à accéder à la vérité de l'échec quand tant d'autres, parfois dans les grandes largeurs, y auront échoué.

 

L'échec serait un cliché hustonien égal à l'incommunicabilité pour le cinéma antonionien s'il n'y avait pas, en effet, les quelques grands films qui ont vu la terrible vérité de l'échec qui est la fêlure dont on fait un destin – fêlure de l’homme qui échoue aveuglément à sortir de la religion de la sortie de la religion dans Le Malin (1979) ; fêlure du représentant diplomatique doublé du bouffon visionnaire et alcoolique de Au-dessous du volcan (1984).

 

 

 

     Le cinéma de Kenji Mizoguchi est d'une lucidité étourdissante et confondante. Son art est sorcellaire en ceci qu'il fait lever d'une matière extrêmement précise et documentée des paysages impersonnels dont la vérité, toujours cruelle, a la force expressive de défier les époques – la force de l'éternité.

 

C'est le cas de Miss Oyu où l'amour est une onde solitaire comme un soliton accouchant au milieu des décombres d'un enfant dont le don est dans le Japon de l'après-guerre comme un trésor de légende.

ven.

30

oct.

2020

Newsletter 73

17 octobre, couvre-feu. Hier 1961, aujourd'hui 2020.

 

La guerre au virus et à l'islamisme a succédé à la guerre aux algériens. C'est la pire des successions, celle des passions tristes du bellicisme. L'antifascisme n'est pas une affaire intéressée de vocabulaire ; mieux qu'une stratégie sémantique, c'est un combat dont l'impératif reconnaît dans les soubresauts du capitalisme terminal les montées de sang et les asphyxies du ressentiment, Nice, Avignon, Conflans. Une même volonté de néant, d'un côté qui comble avec des cadavres le lieu vide du dieu absent ou de la nation fantasmée, de l'autre qui sature d'yeux crevés celui de l’État.

 

17 octobre 2020. Un monde perd la tête mais couve le feu, Bolivie, Chili en attendant les États-Unis et l'Algérie. Acéphale, on est mal, tant qu'on ne s'est pas fait une raison : pour nous décoloniser la tête du mal capital et nous déconfiner pour respirer, il faut une révolution.

 

La 73ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée aux victimes du fascisme et aux militants antifascistes.

 

 

 

Tous les films d'Ida Lupino tournent autour d'une idée qui est une obsession, le moyeu des roues de l'existence quand celle-ci dévisse. La vie se retrouve alors soumise à des bifurcations hasardeuses dont les violences sont comme de brutaux coups de volant qui obligent à en reconsidérer le sens entièrement.

 

L'épreuve qui s'impose alors est celle du réel dont la blessure peut autant remettre en cause la consistance symbolique d'une réalité quotidienne qu'elle engage chez ses sujets la preuve d'un sens moral plus fort que toute morale. Le destin qualifie la relève des vies blessées dans une perspective éthique en répondant à la question d'une vie : que s'est-il passé ?

 

 

 

Les violences policières, si elles sont filmées, notamment par ses victimes, manquent encore d'être vues. C'est l'invu des violences policières qui invite à parler en les donnant à voir et à revoir et, ainsi, à les regarder pour les penser.

 

Pour cela Un pays qui se tient sage de David Dufresne vaut la peine d'être vu quand il essaie d'être face à la Méduse des violences policières l'équivalent du bouclier d'Athéna.

 

Mais la peine aurait pu l'être davantage encore en ne cédant ni sur le recours à des limitations problématiques de la focale adoptée, ni sur le réflexe roué de l'efficacité qui obscurcit l'effort de pensée plutôt qu'il ne l'éclaircirait.

 

 

 

Quel bonheur quand, sans ostentation ni crier gare, un film a la puissance de battre les cartes d'un jeu apparemment serré en les redistribuant à plusieurs reprises, une fois, deux fois, trois fois. Le spectateur est alors invité à déplacer son regard en fonction des angles de la fiction comme à revoir sa position sur le sens de la narration.

 

Fin de siècle de Lucio Castro a le perspectivisme surprenant et son auteur est un baroque subtil qui suit de près deux hommes faire et vivre l'amour en bifurquant, comme un retour à travers les boucles du temps et les parallèles du possible.

 

 

 

Dans Rocco et ses frères de Luchino Visconti, le néoréalisme se voit décomposé par les coups de boutoir du naturalisme littéraire et de l'opéra vériste et c'est alors qu'il peut délivrer l’un de ses noyaux de vérité – nécessité du communisme.

 

Le communisme est la relève des contradictions infernales et fratricides de la modernité et, à la fin du film, il n'y a plus rien d'autre à faire pour lui qu'à s'exposer dans la nudité de sa nécessité – opéra operai contadini.

 

 

 

Don't Look Now – Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg conte avec tout le maniérisme nécessaire l'histoire d'un lien mystérieux de mort et de filiation hémorragique, celui d'un père à la fois si aveugle et si voyant qu'il hallucine la possibilité de ne pas devoir survivre à la mort impensable de sa fille.

 

 

 

Serial killer et profiler figurent les catégories modernes d’un vieux dualisme fonctionnel saturé d’idéologie. Le mythe qu’ils ont en partage et dont il faut faire la mythologie est celui d’une culture qui ne s’institue qu’en se ré-instituant incessamment dans la guerre permanente contre une nature fondamentalement sauvage.

 

Le pessimisme anthropologique propre au couple structural du profiler et du serial killer engage avec la fascination pour le mal radical l'autre fascination pour la rationalité policière.

 

Deux adaptations de Thomas Harris, champ et contrechamp : Manhunter de Michael Mann et Le Silence des agneaux de Jonathan Demme.

 

 

 

Notre quinte musicale mensuelle a d'emblée une manière japonaise de regarder ses pompes puis décide une fois son chromatisme avéré de tourner dans les boucles ralenties d'années 30 imaginaires avant de s'abandonner à la transe du prophète au nom d'oiseau et au sommeil dans un lit de plumes folk.

 

 

 

Aux quatre coins du Rayon Vert :

 

 

 

Les comédies ont du caractère quand elles s'en amusent comme d'un masque. Elles se trahissent tragiquement quand le jeu qui fait rire du caractère s'apparente à une faute douloureuse qu'il faudrait naturellement assumer :

 

- faute monstrueuse de renier l’appel de la maternité dans Énorme de Sophie Letourneur ;

 

- faute idéaliste de croire en l’amour alors qu’il faudrait savoir y renoncer dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait d'Emmanuel Mouret ;

 

- faute morale de persévérer dans l’ânerie d’une liaison adultère avec Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal.

 

 

 

Ondine prévient Johannes qui veut la quitter : s'il part, il doit mourir, il ne peut en être autrement. Ainsi s'exprime Ondine qui, quand elle n'est pas conférencière au Sénat de Berlin, croit secrètement aux obligations mythiques de son prénom.

 

Dans Ondine de Christian Petzold, la croyance d'un destin mythique est un appel ensorcelant à quitter les surfaces de la raison mais il n'y a qu'une brasse entre l'attrait des profondeurs et la liquidation des miroirs de l'histoire.

 

 

 

Le cinéma de Hong Sang-soo ressemble toujours plus à un jardin citadin et son jardinier y entretient un parterre fleuri de fugues féminines tout en tenant au respect du secret de leur racine.

 

En son centre rayonne la fleur Kim Min-hee dont l’exil intérieur est une dette dont tenteraient de s’acquitter les derniers films de son compagnon.

 

La Femme qui s’est enfuie cristallise les piétinements du jardinier endetté auprès de la plus belle de ses fleurs tout en persévérant à entretenir la préservation d’un privilège masculin indispensable à la fiction.

 

 

 

India Song, air éternel, ritournelle océanique. La bourgeoisie n'a pas d'autre avenir que celui de son ravissement – cri de la bête dans la jungle à un bord et à l'autre chant de rire et de folie de la mendiante indifférente.

 

Soleil cou coupé à l'horizon de la dislocation des bandes image et son en pointant vers l'aurore et l'orient.

 

Occidental dans le film de Marguerite Duras qualifie ainsi un bal en boucle pour les fantômes inconscients d'un cinéma permanent.

mar.

29

sept.

2020

Newsletter 72

Il n'y a pas d'après dans le monde d'après. Au nom de la lutte contre le Covid-19 est menée en grandes pompes l'anti-politique du vide, avec le vacuum des mesures sanitaires contradictoires, des licenciements par paquets et des services hospitaliers à nouveau engorgés. Le vide est viral. Et la toxicité du vide est si virulente qu'elle affole tout à la fois le thermomètre vestimentaire du patriarcat, des dealers d'opinions qui se croient pharmaciens des citoyens et des esprits désorientés par une demande d'idéal trahissant une volonté de néant intersidérale. Il n'y a pas d'après dans le vide du monde d'après. Un monde désert comme Calcutta et que seul un cri comme celui du vice-consul pourrait repeupler.

 

Hurler son nom de Venise dans Calcutta désert est une sommation à laquelle répond la 72ème lettre d'information (site, blog, Facebook) des Nouvelles du Front dédiée à Juliette Gréco et Michael Lonsdale.

 

 

  • Mexicamerica, triptyque

 

Entre le Mexique et les États-Unis, la frontière brûle depuis longtemps et sa généalogie remonte à loin dans l'histoire conflictuelle entre les deux États, au moins à la guerre américano-mexicaine de 1848. L'Amérique est une bête à deux dos quand faire la nique se dit des rapports asymétriques, inégaux et électriques entre les États-Unis et le Mexique. Mais, comme le torchon, la frontière brûle en ouvrant dans le désert des nations mal embouchées une zone d'indétermination. Une interzone qui fait avec les mots des valises d'exilés de l'intérieur comme de l'extérieur : Mexicamerica.

 

Première partie : Tijuana Bible (2019) de Jean-Charles Hue

 

La fascination complaisante pour la déjante et le néo-évangélisme appuyé de la rédemption conspirent à empêcher la chorée cinématographique d’advenir. Pire, le documentaire est ici le junkie et la fiction le dealer parasite.

 

Deuxième partie : Soy Nero (2016) de Rafi Pitts

 

L’américanisation se vit inclusivement et exclusivement, dans la production respective de ses insiders comme de ses outsiders, dans la multiplication de ses exclus qui ne sont des inclus qu’en restant à l’extérieur. C’est pourquoi le désir d’un mexicain de devenir américain pour redevenir ce qu’il a toujours été l’envoie absurdement dans le désert irakien, où il se perd pour être retrouvé par des soldats qui demandent encore à vérifier ses papiers d’identité. La naturalisation est un château dans les nuages, un horizon trompeur, une hallucination du désert – fata morgana – mais Nero aux semelles de vent fuit encore, le paria plus Don Quichotte que jamais.

 

Troisième partie : De l'autre côté (2002) de Chantal Akerman

 

Avec De l’autre côté tourné le long de la frontière mexicaine-étasunienne, Chantal Akerman n’a pas seulement documenté ce qui s’expose et se dit, mais aussi ce qui ne se voit pas et ne s’entend pas. Ce qui est refoulé et occulté, dénié quand ce n'est pas nié. La face de l’humanité brisée en deux, balafrée par la ligne de front barbelée des barrières faisant 1200 kilomètres de long.

 

 

  • Des lieux et délier les langues pour les dire – à propos de trois films courts de Tariq Teguia.

 

« On traverse un tunnel – l'époque » (Stéphane Mallarmé). Comment un réalisateur algérien peut-il répondre à un état des lieux dès lors qu'ils se dédoublent toujours déjà en non-dits et en non-lieux ?

 

« Rien n'aura eu lieu que le lieu » (Stéphane Mallarmé). Pas d'autre lieu que le lieu à habiter, le lieu du crime dont le crime consiste aussi à asphyxier ceux qui voudraient le nommer.

 

 

 

Un soupçon d'amour de Paul Vecchiali donne encore la preuve – once more – que la sentimentalité n'a pas d'autre meilleur contradicteur que la cruauté. Avec la figure d'Andromaque en vigilante éclaireuse, la contradiction est l'une des ruses d'un vieux diable pour faire que la réconciliation ne lui vienne jamais.

 

 

  • Deux histoires de frères cronenbergiennes :

 

Scanners (1981) impose sa différence en scannant son époque. C'est ainsi qu'il peut voir la propension fusionnelle et addictive du capital comme drogue de synthèse qui carbure à la concentration et ne veut la concurrence que pour autant qu'elle soit faussée, simulée. Le film de David Cronenberg peut aussi bien montrer la connexion électronique de tous les systèmes nerveux dont les interfaces téléphoniques et informatiques sont les membranes privilégiées douze ans avant la création d'Internet. Scanners expose alors que faire l'expérience du film est affaire de regard et d'écoute pour autant que tout le corps du spectateur est engagé dans la saturation de son cerveau par électrisation télépathique de son système nerveux.

 

Dead Ringers – Faux-semblants (1988) raconte une histoire de fraternité déréglée, de gémellité détraquée par le choc de la rencontre amoureuse dont la force traumatique exerce d'incalculables conséquences. Face aux jumeaux Mantle, Claire Niveau est clairement l'exception, le franchissement impossible du niveau pour des hommes qui auraient voulu ne compter les femmes qu'en les faisant cliniquement passer entre la table d'opération et le lit de la séduction. Des hommes qui se rêvent incréés, que font-ils sinon user du pouvoir institué de s'approprier le ventre des femmes afin de conjurer l'idée qu'ils en proviendraient ?

 

  • La quinte musicale du mois fait ruisseler avec l'automne de grandes eaux orbitales avant de suivre à la trace électronique un fou autrichien, la nostalgie fities et le lait amer de la soul offrant enfin le repos nécessaire avant l'ode horrocore dédié aux suicidés new-yorkais.

 

  • Trois rayons verts pour percer la croûte de l'obscurcissement :

 

La fiction a le désir du réel jusqu'à la contradiction quand la simulation n'en a plus le besoin. Le réel a été l'affaire d'une vie pour Werner Herzog ; avec Family Romance, LLC tourné au pays du Soleil-Levant il est temps de lui faire ses adieux. Mais le deuil est lui-même soupçonné ironiquement de simulation qui dépolarise et le documentaire et la fiction rendus à n'être plus que l'ombre d'eux-mêmes, une gélatine qui bloblote dans l'empire du simulacre et ses tautologies. Que faire d'un film dont le spectateur lui-même figure le dernier simulateur ?

 

Pendant cinq années, Sébastien Lifshitz a filmé la vie de deux amies, Emma et Anaïs, de la fin joyeuse des années collège aux ouvertures incertaines de l'après-bac. Le documentaire au long cours insiste à se présenter comme une chronique toute en sensibilité trouvant dans la durée le moyen de rendre perceptible ce qui caractérise l'adolescence intimement, soit un processus, un développement, une poussée vers – un élan. Coupé par la litanie des banalités de base de l'adolescence servie dans les grandes largeurs par un documentaire rêvant de « ciné », l'élan d'Adolescentes se retrouverait davantage du côté d'un montage dédié à la compréhension des forces obscures qui épuisent une belle amitié.

 

La destruction fut la Béatrice de Mallarmé. Avec Lux Aeterna (2019) la Béatrice de Noé consiste pour la grenouille prétentieuse à crever en se rétamant sur la dalle en béton de ses bovines ambitions. Pour la grenouille de la fable, rêver du bovidé c'est peut-être songer aussi à la boucherie des critiques qui seront consacrées à ses rêveries, gonflées qu'elles sont du consensus mou qu'elles suscitent rituellement.

dim.

30

août

2020

Newsletter 71

Beyrouth, Mardi 4 août, 18h10. Beyrouth est pour l'ixième fois notre capitale de la douleur, notre croix. Ruines avant les ruines, ruines après. Faire des brûlures un destin incendiaire est l'incandescence que désire le phénix mais l'oiseau de légende n'en sait pas moins s'envoler loin des pompiers pyromanes qui le maintiennent captif au-dessous du volcan.

 

 

Épineuil-sur-Fleuriel, 5 août 2020. Un philosophe se donne la mort. Se donner la mort est à soi-même le plus terrible des dons, sans possibilité de retour ni contre-don. L'arrêt de mort n'est cependant pas un coup d'arrêt à la pensée mais le don fait à l'autre de son accidentalité originaire, la relance pour nous de son défaut d'origine. L'accident est originaire et son avenir ne cesse de tourbillonner dans le grand fleuve du devenir.

 

 

Paris, 19 août 2020. Akira ressort en salles en s'imposant comme le film contemporain de ces deux événements obscurs. L'enfance est la deuil interminable de l'enfant que nous ne sommes plus et l'enfance comme survivance est ce dont il faut prendre soin si nous désirons que nos enfants se transforment en autre chose qu'en bombes à retardement. Le sourire énigmatique de l'infans Akira, ange terrible et nécessaire à la fois, en offrant à la capitale détruite de renaître en archipel des archipels, rappelle à la pensée qu'elle doit aussi panser les conséquences du défaut d'origine dont crépitent les volcans de l'adolescence.

 

 

La 71ème lettre d'information des Nouvelles du Front (site, blog, Facebook) est dédiée aux accidentés dont la relève est un levant d'or ailé et aux occidentaux choisissant l'orient qui leur coupera l'envie d'être des occidentés.

 

 

 

« Forbidden Hollywood » : retrouver le cinéma hollywoodien de l'époque du Pré-Code (1930-1934), c'est faire revenir sur les écrans des films (Baby Face, Blonde Crazy, Red-Headed Woman, Night Nurse) et des stars (Barbara Stanwyck, Jean Harlow, Joan Blondell) qui ont résisté avec audace aux pressions des ligues de vertu dont Joseph Breen et William Hays ont été les relais à l'intérieur de l'industrie du film.

 

Retrouver aujourd'hui le Hollywood interdit par le Code Hays, c'est aussi le suivre au plus près de ses contradictions que lissent les lectures rétrospectives qui ne voient l'enchantement qu'en s'aveuglant sur ce qui le contrarie.

 

Première partie : Baby Face d'Alfred E. Green ; Red-Headed Woman de Jack Conway ; Red Dust de Victor Fleming ; Blonde Crazy de Roy Del Ruth ; Jewel Robbery de William Dieterle.

 

Seconde partie : Female de Michael Curtiz ; Night Nurse de William Wellman ; A Free Soul de Clarence Brown ; The Mind Reader et Employees' Entrance de Roy Del Ruth

 

 

 

L'été 2020 après le confinement du printemps est-il au cinéma celui du retour gagnant des auteurs ? S'ils reviennent avec des films réalisés avant la crise sanitaire, l'été promis laisse cependant place au refroidissement de l'hiver. L'hiver est là en effet mais c'est celui de l'auteurisme.

 

L'été de la politique des auteurs devient l'hiver de l'auteurisme quand le cinéma se prépose à la conjonction réductrice d'un style et d'une thématique au nom de la consécration du nom.

 

Les auteurs qui cultivent l'auteurisme au nom du glorieux prestige de leur nom, s'ils font le bonheur des grands festivals et de la critique spécialisée, sont embarqués dans le tournant académique de leur œuvre, aussi importante soit-elle.

 

L'été promis du cinéma reverdi par le retour des auteurs s'apparente ainsi à l'hiver de l'auteurisme quand la politique des auteurs n'est plus l'arme d'une rupture moderne mais seulement le terminus académique d'un modernisme épuisé.

 

Première partie : Le Sel des larmes de Philippe Garrel. On doit le reconnaître : la jeunesse luciférienne de Philippe Garrel a pris un sacré coup de vieux. Faust a cru que le contrat durerait toujours mais le réveil est difficile et Marguerite a l'haleine chargée. La gueule de bois est sévère car Méphistophélès est un créancier jamais en retard, toujours à l'heure de ses comptes.

 

Seconde partie : Hotel by the River de Hong Sang-soo. Si l'hiver est la saison de la convalescence, il est aussi celle de l'hibernation. Quand le cinéaste hiberne, les films sont seulement rêvés mais leur auteur rêve aussi qu'avec le printemps il pourra à nouveau tourner un film en cessant alors de tourner complaisamment autour de l'arbre désolé de leur possibilité.

 

 

 

À propos de Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi et John Wax

 

JP le clame sur tous les toits et sur tous les tons : il veut organiser une grande marche de protestation en faveur de la minorité noire, sous-représentée dans les secteurs-clés de la société, en politique comme dans les médias. Et s'il pouvait en profiter pour faire le buzz et ainsi doper une carrière d'acteur qui tarde à démarrer ce serait l'idéal.

 

On croit JP hésiter entre projet politique et plan média mais Jean-Pascal Zadi qui interprète le candide et a co-réalisé le film a définitivement tranché en choisissant sur quel pied danser : la politique comme dissensus compte moins que le club sélect des noirs médiatiques qu'il rejoint parce qu'il leur ressemble comme un frère.

 

 

 

Festival Partie-s- de Campagne : la 13ème édition.

 

La partie n'a pas été remise, on respire, viva pour son équipe !

 

La seule compétition documentaire montre que, en dépit du contexte et des difficultés qui le caractérisent, le festival du film court d'Ouroux-en-Morvan organisé par l'association Sceni Qua Non n'a cédé ni sur l'exigence documentaire du cinéma ni sur le fait que le court-métrage n'est pas un espace subalterne pour en accueillir les intensités.

 

La partie de campagne n'aura donc pas été remise, c'est tant mieux, on respire. Mieux, la campagne, loin d'être neutralisée par les empêchements sanitaires et la virtualité des connexions numériques, se fait plus désirable encore. Comme chez Renoir.

 

 

 

Penser l'époque avec Bernard Stiegler consiste à réfléchir à notre destin techno-logique, c'est-à-dire à l'humanité resituée à chacune de ses époques au carrefour critique du langage et de l'outil. Ce destin a une lointaine origine accidentelle, l'accident d'un défaut d’essence pour une hominisation dès lors comprise comme une extériorisation continuée.

 

Il n'y a pas d'essence mais une nécessité qu'il faut penser : celle de notre « accidentalité ».

 

Le défaut originaire, qui associe accidentalité et artificialité, est donc celui qu'il faut. Le défaut qu'il nous faut penser et dont il nous faut penser non pas l’essence mais la nécessité, pour comprendre d'où venons et où nous allons.

 

Penser l’accident d’origine c'est aussi prévoir la catastrophe possible dont la pensée qui la prévoit est un moyen nécessaire pour s’en prémunir.

 

 

 

Côté musique, le papillon aoûtien a deux ailes pour faire battre le cœur, une aile shoegazing et une autre dédiée aux opéras pour ritals en haillons d'Ennio Morricone.

 

 

 

Et puis, un carré magique des joueurs de poker du Rayon Vert :

 

 

 

La Haine de Mathieu Kassovitz, 25 ans après : comme une cuite la hype est passée, reste le film « culte » dont la vision est aussi problématique hier comme aujourd'hui.

 

Le constat documentaire y passe toujours à la moulinette d'une fantasmagorie dont les manières clinquantes revêtent les vieilles hiérarchies des survêtements de la jeunesse et des cultures urbaines.

 

Mais la moulinette est une partie truquée de roulette russe et les shoots d'adrénaline n'empêchent pas d'admettre que la bombe à retardement n'est chargée que de l'amphigouri de son artificier horloger. Le monde sans pitié des gamins des cités appartient à ceux qui en font des films à succès.

 

 

 

Akira pose, pense et panse la jonction cyborg de plus d'un spectre : spectres de Marx et de Hamlet ; spectres de l'histoire japonaise d'hier, d'avant-hier et de demain ; spectres de la culture cyberpunk et de l'Armée rouge japonaise.

 

C'est leur conjonction organique et cybernétique organisée par Katsuhiro Ôtomo dans un mélange de furia et de maestria sans équivalent pour l'un des plus grands films d'animation japonais qui soit, qui est aussi l'un des plus grands films de science-fiction qui soit.

 

Tant et si bien qu'Akira demeure un grand contemporain éclairé par le sourire énigmatique d'Akira en nous rappelant à cette enfance devenue une énigme pour une humanité qui manque à elle-même d'avoir abandonné ses enfants.

 

Les films qui regardent notre enfance sont toujours ceux qui savent en prendre soin.

 

 

 

Neruda et Jackie de Pablo Larraín forment un passionnant diptyque, nom et prénom pour une Amérique expérimentée comme le nom divisé par plus d'un antagonisme au temps de la guerre froide : nord et sud, hommes et femmes, chambre froide et royaume mythique – de face et de dos.

 

 

 

Tenet est l'opéra de Christopher Nolan, son chef-d'œuvre pour autant que son architecture de béton est un piège pour ses spectateurs, une croix pour le cinéma.

 

Sacrifier un film à la monumentalisation du nom de son auteur équivaut à la bétonisation du cinéma. Les abstractions nolaniennes sont devenues l'or massif du blockbuster mais son extraction a un coût élevé, celui d'un cinéma bétonné.