Les inégalités sociales sont aussi des inégalités fiscales

Les impôts

 

L’une des raisons objectives qui aura déterminé l’irruption historique de la Révolution française ressortit du domaine de la question fiscale. Contre les violentes pressions alors effectuées par les fermiers généraux de l’ancien Régime et contre les injustices produites par les privilèges dont bénéficiait alors la noblesse, c’est l’affirmation d’une égalité révolutionnaire dans l’impôt qui aura été collectivement imposée : tout le monde doit contribuer à l’effort national à mesure de ses capacités contributives. Ce que l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 sanctuarise de la façon suivante : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Où en est-on aujourd’hui de la question pas toujours populaire des impôts (cf. Nicolas Delalande et Alexis Spire, Histoire sociale des impôts, éd. La Découverte-coll. « Repères », 2010, 128 p.) qui ont accompagné lors des deux derniers siècles la construction historique de l’Etat-nation ? Plus précisément pour ce qui nous concerne, qu’en est-il de la question de la justice sociale en tant qu’elle peut aussi se pratiquer sur le mode de la justice fiscale ? Les éléments chiffrés et d’analyse de réponse suivants nous été donnés par les camarades de la CGT-Finances (http://www.finances.cgt.fr/).

1/ En premier lieu, quelques chiffres dont la mise en rapport produit des effets plutôt significatifs :

Moins de 1.500 euros : c’est le salaire médian (versé à la moitié des salariés en France) ;

 

700 millions d’euros : c’est le coût du « bouclier fiscal » (la seule promesse de campagne tenue par le président des riches Nicolas Sarkozy qui a fait passer de 60 % à 50 % le plafonds des revenus imposables pour la tranche la plus élevée) dont l’appellation même exprime la volonté des grands-bourgeois de se protéger des contraintes de l’Etat social et redistributeur destinées à contraindre la pauvreté et intégrer les classes populaires dans le consensus républicain ;

 

74.8 milliards d’euros : c’est le coût estimé des 468 niches fiscales existantes ;

 

3 milliards d’euros : c’est le coût annuel du cadeau fiscal accordé au secteur de la restauration avec la baisse de la TVA ;

 

150 milliards d’euros : c’est le déficit du budget de l’Etat pour 2010 ;

 

12 milliards d’euros : c’est le coût de la suppression de la Taxe Professionnelle (TP) dont bénéficiaient les collectivités territoriales (depuis 1975 en remplacement de la patente) ;

 

30 milliards d’euros : c’est le montant annuel des exonérations de cotisations sociales pour les entreprises afin de les inciter à embaucher – avec les résultats que l’on connaît bien sûr…

2/ La gâteau des recettes de l’État (d’après la Loi de Finance de 2010) 

TVA (inventé en 1954) : 46.8 % (soit 126.5 milliards d’euros) ;

 

Impôt sur le revenu (inventé en 1914) : 18.1 % (soit 48.9 milliards d’euros) ;

 

Impôt sur les sociétés : 12.9 % (soit 34.9 milliards d’euros) ;

 

TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers, créée en 1928) : 5.4 % (soit 14.5 milliards d’euros) ;

 

Autres recettes (fiscales ou non) de l’Etat : 16.8 % (soit 45.7 milliards d’euros).

3/ Le « bouclier fiscal », les niches fiscales : pour les riches, c’est toujours plus de privilèges fiscaux !

a) Le « bouclier fiscal » :

. Ce dispositif permet de limiter l’ensemble des impôts d’un contribuable à 50 % des revenus perçus.

Ce sont 700 millions d’euros de perdus pour l’Etat français, qui bénéficie à 7.676 redevables de l’impôt sur la fortune (ISF) auxquels l’Etat a remboursé 580 millions d’euros (d’impôts sur la fortune, sur le revenu, et de contribution sociale généralisée – la CSG de Michel Rocard prélevée notamment sur les salaires).

 

. En 2008, malgré l’instauration du « bouclier fiscal », 821 contribuables soumis à l’ISF ont quitté la France, préférant jouir de la « qualité de vie » des paradis fiscaux et autres pays à faible taux d’imposition favorables pour les hauts revenus. En 2007, ils étaient 719 alors que le plafond était de 60 % !

 

b) Les « niches fiscales » :

. C’est un dispositif permettant de déduire certaines dépenses du montant de ses impôts, ou bien de percevoir un crédit d’impôt (comme la prime pour l’emploi dont l’idée perverse est de substituer aux obligations salariales des employeurs la solidarité des contribuables envers les salariés faiblement rémunérés : les patrons adorent !).

Le plus souvent, les niches fiscales, dont le coût global est estimé à quasiment 75 milliards d’euros, visent moins les pauvres que les riches qui profitent, eux, des capacités économiques d’investir.

 

c) On a vu que la prime pour l’emploi (un dispositif fiscal du gouvernement du « socialiste » Jospin en 2001, augmenté par les gouvernements Raffarin en 2003 puis de Villepin en 2005 et 2007, salué autant par l’économiste « royaliste » Thomas Piketty que par Alain Madelin et Alternative Libérale) permettait aux entreprises qui en bénéficiaient d’engranger des bénéfices plus importants pour les actionnaires parce que soutenus par nos impôts. Mais d’autres dispositifs existent.

 

. Par exemple l’amendement Scellier introduit dans la Loi de Finances rectificative de 2008. Il permet de déduire de ses impôts 25 % du prix d’achat d’un logement à condition de le louer pendant 9 ans. Un investisseur achetant un appartement à 200.000 euros pour le louer peut ainsi récupérer 50.000 euros en réduction d’impôt, contrairement au salarié qui achète pour son propre usage sa résidence principale au même prix de 200.000 euros.

De plus, substantifiques sont les revenus engrangés grâce aux loyers (non-imposables) ainsi qu’à d’habiles dépenses (sous forme de déduction d’impôts pour des travaux, des intérêts d’emprunt, des charges de copropriété, des frais d’agence, des assurances, la taxe foncière, etc.).

 

. On peut encore citer d’autres dispositifs fiscaux du même aloi : crédit d’impôt en faveur de la qualité environnementale des logements ; crédit frais de garde des enfants de moins de 7 ans ; crédit emploi salarié à domicile ; souscription de parts de FCP dans l’innovation ; souscriptions de fonds d’investissement de proximité (FIP) ; souscription au capital des PME ; investissement outre-mer dans le logement ou autres secteurs lucratifs  

 

(selon une simulation effectuée sur le site www.impots.gouv.fr un total des réductions fiscales obtenues en additionnant tous les dispositifs cités s’élève à 25.700 euros pour un couple avec deux enfants dont le revenu net mensuel est de 120.000 euros et les revenus de placements de 30.000 euros – avec un montant initial de 25.830 euros d’impôt sur le revenu à payer, auxquels on soustrait donc les 25.700 euros de réductions des niches fiscales, restent seulement 130 euros à payer !)

 

Rappelons à cette occasion que ce n’est pas la propriété d’usage qui pose un problème économique, et donc politique si la perspective privilégiée est celle du communisme libertaire, mais bien la propriété lucrative – autrement dit, le droit de tirage ou de ponctionner la valeur produite par le travail d’autrui à partir de titres de propriété possédés. Les niches fiscales s’ajoutant au « bouclier fiscal » produisent des effets sociaux de quasi-restauration des privilèges économiques pour les partisans de la rente et de la propriété lucrative, cette nouvelle noblesse pour laquelle il faut destiner une nouvelle et définitive nuit du 4 août 1789 !

4/ Quelques propositions pour un début de justice fiscale :

. Le système fiscal français est complexe et faiblement redistributif. Il l’est même de moins en moins quand on s’intéresse aux taux de l’impôt sur le revenu dont les plus élevés sot passés de 65 % à 40 % ces trente dernières années.

 

. Augmenter l’impôt sur le revenu (plus juste car progressif) et baisser la TVA (injuste car proportionnel – autrement dit aveugle aux inégalités de revenus) est une première piste évidente. Surtout, il faut :

 

 

Augmenter la progressivité de l’impôt sur le revenu (en y incluant et fondant la CSG et la CRDS) et l’instaurer pour l’impôt sur les sociétés ; 

 

Supprimer le « bouclier fiscal » ;  

 

Supprimer la défiscalisation des heures supplémentaires et l’imposition des revenus versés dans le cadre des accidents de service ou de travail ;  

 

Limiter le nombre de niches fiscales dont le maintien doit être déterminé en fonction complémentaire de la justice sociale et de l’utilité économique ;  

 

Imposer tous les revenus financiers et patrimoniaux (les salaires ne participent que trop massivement à la contribution fiscale) ;   

 

Harmoniser la fiscalité européenne (puis mondiale…) ;    

 

Limiter drastiquement la TVA dans la perspective de son abolition totale ;    

 

Réformer la fiscalité locale en rééquilibrant la taxe d’habitation et la taxe foncière, et en réinstaurant notamment la Taxe Professionnelle (assurer en conséquence un système et un fonds de péréquation entre collectivités richement dotées en entreprises et commerces et celles qui en accueillent moins) ; 

 

Instituer une véritable politique de lutte contre la fraude fiscale avec la création d’emplois qualifiés au sein des administrations financières et fiscales…


02 février 2011


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