Classiques de la subversion : Gramsci, notre contemporain

 

Texte tiré de : http://www.alternativelibertaire.org/?Classiques-de-la-subversion,4809

 

 

Il est devenu urgent de lire ou relire l’œuvre d’Antonio Gramsci tant sa pensée critique est actuelle et en capacité d’éclairer les contradictions de notre temps.

 

C’est ce que prouve la réédition en recueil (chronique ci-dessus) des fameux Cahiers de prison qui montrent notamment l’influence gramscienne sur le marxisme latino-américain comme sur le développement des « cultural studies » en Angleterre et des « subaltern studies » en Inde.

 

Mort après dix ans d’incarcération dans les prisons fascistes en 1937, Gramsci a réussi dans les pires conditions, à tromper la vigilance de ses gardiens, pour renouveler une théorie marxiste alors en pleine ossification stalinienne. Celui qui fut militant conseilliste à Turin en 1917, puis fondateur avec Amadeo Bordiga du PCI en 1921 et enfin député en 1924 jusqu’à son arrestation en 1926, a notamment repris du premier Marx la question de l’idéologie (« les idées dominantes sont les idées de la classe dominante ») en la problématisant au moyen du concept d’« hégémonie culturelle ».

 

En distinguant la société politique (aux institutions dites « régalien-nes » - police, justice) et la société civile (avec d’autres institutions comme l’école, l’université et la culture), Gramsci dépasse la distinction marxienne formelle entre infrastructure et superstructure et anticipe la critique althussérienne des « appareils idéologiques d’État ». Il montre que la reproduction d’une société repose à la fois sur la force (son côté politique) et sur le consentement (son côté civil).

 

L’hégémonie culturelle désigne alors l’intériorisation par les classes dominées de la croyance selon laquelle le pouvoir qui les assujettit est légitime. Au temps court de la « guerre de mouvement » réclamée par l’urgence politique de la situation révolutionnaire, répond le temps plus long de la « guerre de position » visant à abattre le mur de croyance culturellement bâti par les dominants dans la tête des dominés.

 

Gramsci établit donc la distinction entre « intelligentsia traditionnelle », constituante d’un « bloc historique » hégémonique, et les « intellectuels organiques » développant une culture oppositionnelle à celle de la domination. Rompant avec la vision capitaliste de la division verticale et hiérarchique du travail entre manuels et intellectuels, il veut favoriser, à l’encontre du capitalisme qui concentre l’intellectualité collective dans une classe séparée, sa diffusion sociale la plus partagée et la plus démocratique.

 

Enfin la « philosophie de la praxis » de Gramsci critique la tendance d’un certain marxisme voulant fonder de pseudo-lois de l’économie capitaliste pour légitimer l’avènement de la future société communiste.

 

L’approche gramscienne, moins mécaniste que celle d’Engels ou Boukharine, insiste sur la question des réalités sociales construites en fonction de la dynamique de rapports sociaux : l’économie ne se fait pas toute seule de manière systémique, mais découle de rapports sociaux noués par des groupes sociaux aux intérêts contradictoires et antagoniques. Enfin, l’exploration au cœur des classes populaires de « groupes subalternes » (les femmes, les immigrés, les paysans) victimes de torts spécifiques manifeste ultimement du désir gramscien de nuancer la question du prolétariat sans jamais perdre de vue la dimension capitaliste, quoi qu’en disent les actuelles lectures postmodernes. A une époque de crise du capital et de refondation du réformisme social-démocrate, le marxisme hétérodoxe de Gramsci est vraiment incontournable.

 

05 mai 2012


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