Crise alimentaire : les raisons de la déraison économique (III)

3/ La souveraineté alimentaire est-elle possible ?

Une société se suffit à elle-même sur le plan alimentaire si elle parvient à nourrir ses membres par sa propre production sans recourir à des importations. Elle jouit d’une souveraineté alimentaire si elle maîtrise les conditions de production et de répartition de son alimentation. Si la nourriture disponible était équitablement répartie à l’ensemble de la population mondiale, chaque être humain disposerait de plus de 2000 calories par jour, soit plus que le nécessaire pour bien s’alimenter. Si un grand nombre d’économies des pays du Sud ne sont pas en situation d’autosuffisance alimentaire, c’est donc en raison d’une agriculture trop peu productive (quand le modèle agricole dominant dans les pays occidentaux est hyper-productiviste) et très inégalitaire car la concentration foncière induit logiquement l’expropriation de nombreux paysans qui, sans terres et prolétarisés, s’entassent dans les bidonvilles.

 

 

La libéralisation des marchés agricoles mondiaux dans le cadre de l’OMC, l’obligation de soumettre les polycultures vivrières nationales à une économie d’exportation de monoculture afin de satisfaire au règlement de la dette voulu par le FMI et la BM, et la concurrence des agricultures ultra-productives et subventionnées des pays du Nord, ainsi qu’une aide alimentaire répondant surtout aux intérêts des pays excédentaires riches, contribuent à la ruine des paysanneries, la désorganisation des marchés locaux, le caractère racial des conflits, les tensions nationales, la famine et les émeutes de la faim dans le tiers-monde. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation (la FAO : en anglais, « Food and Alimentation Organization »), les pays du Sud à déficit vivrier ont vu leurs importations augmenter d’environ 6 % par an depuis les années 90. Contradiction à court terme intenable.

 

 

D’où que ces pays réclament auprès de l’OMC la reconnaissance du droit à la souveraineté alimentaire qui ne saurait se réduire à la souveraineté nationale puisqu’elle ne se conçoit que dans le cadre d’une union interrégionale. Cela implique une maîtrise économique (sur la fixation des prix comme des manières de produire) et politique (concernant le contrôle des politiques agricoles et la répartition foncière). La FAO estime que si les crises alimentaires, notamment en Afrique, proviennent d’une production insuffisante (parce qu’écrasée par le fardeau de la dette et la libéralisation des marchés agricoles mondiaux), les déficiences dans les systèmes de commercialisation, de production et de répartition sont également responsables d’une situation qui voit selon l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) au moins 800 millions de personnes incapables de se nourrir convenablement.

 

 

Si la faim progresse dans le monde aujourd’hui (Europe comprise) après avoir longtemps reculé, c’est qu’elle est la conséquence des situations de dépendance alimentaire croissante de nombreux pays pauvres, situations résultant de la libéralisation mondiale de l’agriculture et de l’économie de la dette. Signalons ici que la faim n’est pas identique à la famine. Il n’existe plus sur la planète actuellement de régions connaissant une famine chronique. Mais si des famines surviennent, c’est parce que le tiers-monde est traversé par des situations de guerre en raison desquelles une sécheresse ou un aléa climatique dégénéreront en famine. Ajoutées à l’impotence ou la corruption des gouvernements, les guerres empêcheront la distribution des récoltes ou de l’aide alimentaire, comme on a pu le voir récemment au Soudan. Plus généralement enfin, une famine survient non pas dans une situation de pénurie alimentaire globale, mais dans une situation où la population est privée de ses droits élémentaires à vivre et travailler. Ainsi un pays peut dans un horrible paradoxe exporter de la nourriture et connaître la famine en son sein.

 

A suivre (et pour conclure) : 4/ Notre modèle alimentaire est-il exportable ?


02 janvier 2011


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