Faire banquer les peuples : la dette, stade ultime de la bêtise capitaliste (I)

 

Couper dans les dépenses publiques afin de conserver l’estime des agences de notation financière ; initier au niveau étatique des processus de défiscalisation afin de satisfaire les intérêts sonnants et trébuchants des créanciers ; renflouer les banques dont la confusion volontaire des missions (banque de dépôt, banque d’investissement et banque de placement financier) fait courir un « risque systémique » à l’ensemble de l’économie mondiale ; faire du service de la dette le premier poste budgétaire au détriment des besoins sociaux et des politiques publiques ; faire suer le burnous du salariat en l’obligeant à s’endetter pour compenser le blocage des salaires ; opérer un vaste transfert de richesses des mains des producteurs aux poches des rentiers et usuriers : toutes choses scandaleuses qui, en s’accumulant et s’agrégeant, poussent les peuples irlandais et portugais, espagnol et grec, à la plus légitime des révoltes. A quand la révolution ? La crise de la dette souveraine est en effet l’ultime symptôme de l’avachissement d’un capitalisme financiarisé qui ne sait plus où donner de la tête pour pomper la richesse réellement existante. Les pays du sud, ceux que l’on qualifiait hier de tiers-mondistes quand ils se battaient pour une émancipation autant séparée de l’impérialisme occidental que de l’influence du régime soviétique, ont connu la violence de l’endettement avec ces frappes chirurgicales que furent les plans d’ajustement structurel lancées sous le commandement du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. C’était il y a trente ans, avec la crise de la dette mexicaine en 1982. Aujourd’hui, le déploiement de la créance internationale, autorisée par la libéralisation du commerce et la déréglementation financière instituées par des gouvernements de droite comme de gauche, s’attaque désormais aux pays du nord. Les spoliations auxquelles se livrent tranquillement les Etats, victimes consentantes au nom du raffermissement du secteur bancaire mais au risque de leur insolvabilité, exposent le discrédit d’une alliance économique entre l’Etat et le Capital qui fabrique ses propres fossoyeurs comme le disait hier Marx. Et les fossoyeurs, c’est nous, ce doit être nous, les peuples du sud et désormais du nord requis par une situation économique à l‘ampleur inédite. Nous qui, en regard de la crise de la dette publique alimentée par l’inextinguible avidité de la créance internationale, devons nous saisir du discrédit de l’idéologie néolibérale pour empêcher nos conquis sociaux arrachés de haute lutte d’être toujours davantage rognés. Pour mieux comprendre tant la complexité que l’illégitimité du problème de la dette, la lecture complémentaire de deux ouvrages publiés ces derniers temps est à notre disposition : Les Dettes illégitimes. Quand les banques font main basse sur les politiques publiques (éd. Raisons d’agir) de l’économiste François Chesnais (militant au NPA et à ATTAC) et Le Manifeste d'économistes atterrés (éd. Les Liens qui libèrent).

1/ L’illégitimité de la dette du point de vue de François Chesnais


Alors que les dettes des pays latino-américains étaient le produit de prêts bancaires classiques mettant autour de la table de négociations les gouvernements et les consortiums bancaires, les dettes publiques des pays occidentaux résultent d’un mouvement d’émission de bons du Trésor et autres titres de dettes sur des marchés spécialisés (les « marchés obligataires ») achetés par deux types d’institution financière, les banques d’un côté et de l’autre les fonds de placement spéculatifs (les « Hedge Funds »). Les déterminants sont doubles. Nous avons déjà affaire aux Etats-Unis et en Europe à une crise de surinvestissement et de surproduction qui produit un mouvement structurel de « dévalorisation du capital » (cf. Tom Thomas : Relectures de Marx : Démanteler le capital par Tom Thomas). Ce mouvement trouve son origine dans l’endettement élevé des entreprises et des ménages impulsé afin de compenser la faiblesse de la consommation due à la baisse des salaires dans le revenu national. L’autre raison, c’est la cohorte de politiques dites d’« austérité » et de « rigueur budgétaire » synonyme de diminution des dépenses publiques et de blocage des salaires, et posées comme la voie nécessaire au désendettement. Or, l’enfer est pavé de bonnes intentions, car la dette a pour cause profonde la réduction de l’imposition des hauts revenus et des revenus du capital et l’évasion fiscale. L’effondrement de la bulle immobilière, comme on l’a vu pour l’Espagne et l’Irlande, a également entraîné un fort endettement du secteur bancaire dont les gouvernements de ces pays ont largement pris la charge. Du coup, ces derniers s’attaquent à « réformer » à tout va, à l’encontre de promesses de campagne fallacieuses, multipliant un peu partout de véritables « contre-réformes », comme la pseudo nécessaire « réforme de notre système de retraites » de l’automne dernier et tout récemment intégrée dans la loi. C’est une configuration inédite selon François Chesnais qui cite ici Frédéric Lordon : « Car on croyait le peuple souverain la seule communauté référence de l’Etat, son ayant droit exclusif, l’unique objet de ses devoirs, et l’on s’aperçoit comme jamais à l’occasion de la réforme des retraites que, contrairement à de stupides idées reçues, le pouvoir politique ne gouverne pas pour ceux dont il a reçu la ’’légitimité’’ - mais pour d’autres. Il y a donc un tiers intrus au contrat social et l’on découvre que, littéralement, c’est lui qui fait la loi » (cité par François Chesnais, p. 14-15). En 2007, la dette française représentait 64 % du PIB. Un an plus tard, la baisse de l’imposition des plus hauts revenus sous la forme du « bouclier fiscal », le sauvetage des banques infectées par des « actifs toxiques » et des entreprises automobiles endettées ont poussé le montant de la dette à 83 % du PIB. Le paiement des intérêts des emprunts est, derrière l’éducation et la défense, le deuxième poste budgétaire depuis les années 1990 : il est aujourd’hui devenu le premier.

2/ Que s’est-il passé pour en arriver là ?

A partir des années 1980, les grandes banques ont muté et sont devenues des groupes financiers aux activités diversifiées cumulant banque de dépôt et banque de placement financier : dorénavant, « les opérations de placement effectuées par les traders dans les salles de marchés ont plus d’importance que les activités menées auprès de la clientèle dans les agences de quartier » explique l’économiste (p. 15). Ces mêmes groupes bancaires ont soutenu pour des raisons strictement spéculatives la transformation à l’orée des années 2000 du secteur immobilier en actifs financiers dont la crise n’aura pas seulement été étasunienne, mais aussi espagnole et irlandaise. Ils ont également poussé les hôpitaux et les collectivités territoriales (par exemple le département de la Seine-Saint-Denis) à contracter des actifs hautement toxiques, les administrateurs et autres élus locaux ayant alors cru aux mirages des rendements faciles et élevés afin de financer des projets d’investissement lourds dans un contexte de désengagement financier de l’Etat. L‘illusion est celle du « capital-argent de prêt » (Marx) issu d‘une division du capital en « capital-propriété extérieur au procès de production, qui rapporte de l‘intérêt, et en capital engagé dans le procès de production qui rapporte du profit d‘entreprise comme capital en mouvement » (idem, cité par François Chesnais, p. 28-29). Ainsi, se nourrit la croyance sociale dans l’idée que l’argent fabrique de l’argent comme « le poirier porte les poires » (idem), alors qu’à l’autre bout de spectre économique l’avidité des rentiers et des usuriers soucieux de leur retour en investissement pèse objectivement sur l’investissement et le partage entre capital et travail de la valeur ajoutée. L’intérêt ne rémunère aucun travail : il ne représente juste que le droit de tirage sur la richesse existante, de pompage de la valeur issue du procès de production capitaliste grâce à l’exploitation du travail des salariés. Rien d’autre. En regard de cette réalité économique, le slogan sarkozyste « Travailler plus pour gagner plus » n’est que flatulence : et quand le capital financier craque et pète, ce sont les classes populaires qui subissent la puanteur ! Le pouvoir social considérable détenu par la finance n’a pourtant pas toujours été le cas. Après la seconde guerre mondiale, les banques nationalisées prêtaient aux entreprises privées comme publiques à partir de critères arrêtés en France par le ministère des finances et le commissariat général au plan (aujourd’hui défunt). C’était l’époque pas si lointaine où la dette publique n’existait tout simplement pas. Pareillement aux États-Unis où le secteur bancaire était contraint de respecter les limites imposées en 1933 par le Glass-Steagall Act demandant la stricte et hermétique distinction entre d’un côté les banques de dépôt et de l’autre les banques d’investissement ou de placement financier. La loi a été abolie en 1999 par le « démocrate » Bill Clinton. Les théories néoclassiques développées dans le courant des années 1980 de la « Corporate Governance » et de la « valeur pour l’actionnaire » auront idéologiquement accompagné et légitimé le vaste mouvement néolibéral de libéralisation commerciale et de déréglementation financière qui, aux États-Unis comme en Europe, avec des gouvernements de droite comme de gauche, allait autoriser l‘inflation progressive de la sphère de la dette. On signalera à cette occasion que la première étape de reconstitution occidentale d’un capital de placement financier, discrédité après le krach de 1929 et par la seconde guerre mondiale dont il a été l’un des catalyseurs, a eu la City londonienne pour actrice à partir de 1965. Disposant d’un statut off-shore concédé alors par le parti travailliste pour lui permettre de recycler les « eurodollars » (les réserves de dollars accumulées en Europe) ainsi que le profit non réinvesti des firmes multinationales (FMN) étasuniennes qui souhaitent le valoriser sous la forme de capital de prêt, puis profitant de la hausse du prix du pétrole qui a amené son flot de « pétrodollars », la City est devenue à partir de 1973 « le cœur de l’un des réseaux les mieux organisés de paradis fiscaux au monde » (p. 33). Le relèvement en 1979 puis 1981 des taux d’intérêt étasuniens et du taux de change du dollar initié par la FED (la Banque fédérale étasunienne) a historiquement assis les processus de recomposition du pouvoir du capital financier, dont la crise de la dette dans les pays latino-américains, obligés de rembourser des prêts dont le montant s’est alors trouvé multiplié par trois, a représenté le premier contrecoup violent. « La caisse d’épargne est la chaîne d’or par laquelle le gouvernement tient une grande partie des ouvriers » comme le disait déjà Marx (cité p. 37).

3/ Des crises, des crises, encore des crises…

Les profits bancaires sont issus des opérations de crédit indexées sur les flux de richesse existante. Pour une entreprise, c’est une partie du profit qui est pompée par le crédit. Pour des particuliers ou les ménages, c’est une partie du salaire, de l’épargne ou de la retraite qui se trouve avalée par les intérêts du crédit (hypothécaire s’agissant du patrimoine immobilier pour les propriétaires mieux lotis). Pour l’État, le capital-prêt se nourrit de l’impôt et du service des intérêts de la dette publique. En 2008, alors que les échanges commerciaux mondiaux de marchandises et de services s’élevaient à environ 20.000 milliards de dollars, les transactions financières sur le marché des changes atteignaient quant à elles environ 1.000 mille milliards de dollars ! Autrement dit, le commerce mondial ne représente que 0.2 % du montant total relatif aux spéculations sur les monnaies ! Tous les jours, ce sont 4.000 milliards de dollars qui sont échangés ; il y a dix ans, le montant s’élevait à 1.500 milliards de dollars environ. 43 % des transactions quotidiennes s’effectuent entre banques, 40 % entre une banque et un gestionnaire d’institutions financières non bancaires tels les Hedge Funds. En regard de la crise dans laquelle le monde occidental riche est plongé depuis quatre ans, la théorie néoclassique de « l’efficience naturelle des marchés » semble frappé d’inanité, pendant que la théorie keynésienne du fonctionnement autoréférentiel (synonyme de moutonnier) des marchés paraît plus appropriée. La majeure partie des acteurs de la finance achètent quand les cours sont bons et les valeurs sérieuses, et n’achètent plus quand les cours s’affolent et la valeur des titres baisse. Les moutons de Panurge de la finance s’agitent, mais n’oublient pour leur part jamais que c’est sur le dos de l’économie productive que la laine des intérêts est tondue. La faillite des caisses d’épargne étasunienne en 1989, la crise mondiale du secteur immobilier la même année, le double krach de l’immobilier et de l’indice Nikkei au Japon qui s’en est suivi, puis la (nouvelle) crise mexicaine de 1994-1995, la crise asiatique de 1997-1998 qui a touché le Brésil et l’Argentine, l’éclatement de la « bulle Internet » avec l’effondrement du NASDAQ en 2001 : des crises répétitives ad nauseam, pour un capitalisme dont la pente structurelle l’entraîne toujours plus dans la « dévalorisation du capital » et la destruction de valeurs. Dans le monde réel, un « régime d’accumulation financiarisé ou dominé par la finance » (p. 64) qui favorise une logique de « croissance par endettement » (p. 69) et qui n’est pas synonyme d’autre chose que d’« accumulation par dépossession » (David Harvey, cité par François Chesnais, p. 68)  se retraduit très concrètement pour les classes populaires. Par la destruction d’emplois dans le privé et le blocage des salaires. Par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite et le gel du point d‘indice et du traitement indiciaire. Par les attaques sur les services publics et la cotisation sociale (sécurité sociale, chômage, retraite), et par transfert de la dette sur le dos des collectivités locales et des ménages. En pourcentage du PIB, l’endettement est ainsi passé de 48 % à 100 % pour les ménages entre 1980 et 2008, l’État de 35% à 55 %, les sociétés non financières de 53 % à 75 %, et les sociétés financières de 18 % à 119 % ! Quant à la dette publique, elle s’élevait à 63.8 % en 2007, à 81.5 % en 2010.

4/ Cartographie européenne de la dette

En Irlande, l’éclatement de la bulle immobilière suivi d’une récession a provoqué un taux de chômage de 14 % alors qu’il n’était que de 4 % au début des années 2000, à l’époque où le « Tigre celtique » comme on l’appelait attirait les investisseurs étrangers parce qu’il pratiquait le dumping fiscal et le moins-disant social. Le secours accordé aux actionnaires et aux créanciers de l’Anglo-Irish Bank (AIB) notamment a entraîné une hausse du déficit budgétaire :  la dette publique atteint alors les 95 % en 2010. Les banques sont sauvées, et le coût du sauvetage s’est soldé par la baisse du montant des pensions de retraite et la baisse des salaires des fonctionnaires. En Espagne, il s’est passé relativement la même chose, le pays ayant été victime d’une division internationale du travail (que l’économiste qualifie de « perverse » : p. 82) décidée à partir de l’Acte unique de 1986. L’agriculture intensive et le tourisme de masse, ainsi que la liquidation de son secteur industriel (notamment dans le pays basque), ont structurellement déterminé un fort investissement dans le secteur immobilier, un boom des prix, et l’envolée de la spirale de l’endettement. La dette résidentielle des Espagnols est passée de 23.9 % du PIB en 1998 à 61.6 % en 2007. Quant à l’endettement privé total (ménages, entreprises, banques), il est passé de 130 % en 2000 à 366 % du PIB aujourd’hui ! En France, l’accumulation d’un capital-argent rentier dans les banques d’affaire est une vieille histoire qui a d’ailleurs profité, on l’oublie souvent, des conquêtes coloniales. Elle a été relancé au début des années 1960 par l’ancien cadre dirigeant de chez Rothschild Pompidou aidé par Debré dont l‘activisme législatif a permis la réduction de la séparation entre banque de dépôt et banque d‘investissement. La mise en place d‘une grande concentration bancaire a alors donné naissance à la BNP qui a participé au grand recyclage des « eurodollars » et des « pétrodollars » sous l‘égide de la City durant les années 1970. Les socialistes au pouvoir à partir de 1981, avec la loi bancaire de Delors en 1984, ont parachevé le mouvement de décloisonnement du crédit et du déréglementation du système bancaire. Est rappelé à juste titre le rôle stratégique des nationalisations de 1982, qui ont servi à renflouer et recapitaliser plusieurs secteurs (notamment bancaires) avant de les revendre au privé à partir de 1986. En 1986 est justement appliquée l’abolition de ce qui s’appelait naguère « l’encadrement du crédit » bancaire et dont les banques étaient les actrices privilégiées. Ce rôle de garde-fou a été d’autant plus mis au rencard avec l’institution de la banque centrale européenne (BCE), « pure production de la finance triomphante, qui n’a de compte à rendre à personne, surtout pas aux États dont elle n’aura jamais à solliciter les conseils, encore moins à satisfaire les demandes » (p. 90). Sa mission de respect de la stabilité des prix, légitimant pour son directeur Jean-Claude Trichet la résistance des gouvernements devant les revendications salariales, a été un peu malmenée lors de la crise des subprimes en 2007. Quant à sa politique monétaire de maintien d’un taux d’intérêt élevé, elle a contribué à la surévaluation de l‘euro par rapport au dollar qui a aidé les banques à internationaliser ses activités. A l’image de la FED, la BCE a dû bon gré mal gré céder à l’exceptionnelle obligation d’injecter en nombre illimité des liquidités qualifiée par elle de manière euphémique de « méthodes non conventionnelles ».

5/ L’hypocrisie européenne

Qui détient les dettes publiques ? Les plus importantes banques créancières sont françaises et allemandes, les premières se concentrant particulièrement sur les « PIGS », dénomination infamante inventée par les traders pour qualifier les pays qui, comme le Portugal, tantôt l’Italie tantôt l’Irlande, la Grèce et l’Espagne, risquent l’insolvabilité, et sur lesquels la faute incombera si le risque systémique devient maximal. Le Crédit agricole détient ainsi 3 milliards de dette souveraine issue de ces pays. C'est cela l'Europe des néolibéraux : l'Union qui est censée préserver les peuples de la guerre qui les déchiraient hier les jette dans la guerre économique ; l'Union qui travaille à sauver les pays endettés abrite les banques qui spéculent sur la dette ! Il faut ici à nouveau rappeler que l’injonction aux débiteurs à payer leur dette à leurs créancier est indexé sur des sommes fictives sur lequel règne le secret bancaire (« shadow banking ») lors d’achat des bons du Trésor. Mis en adjudication (autrement dit aux enchères, sous la surveillance de la Banque de France, et à destination de 18 grands groupes) par le ministère des finance, ces titres ne représentent que des droits de tirage autorisant un transfert de richesses créées à partir de l’exploitation du travail salarié, rien de plus. La légitimité de ces transferts, notamment opérés par le biais d’une politique de défiscalisation des revenus les plus élevés, ne semble donc pas extrêmement solide. Il n’empêche, le ratio de la dette publique grecque était en mai 2010 de 154 % du PIB : elle pourrait atteindre l’année prochaine 180 % ! S’agissant même de la dette grecque, elle a été historiquement contractée pendant la dictature des colonels entre 1967 et 1974. Elle s‘est prolongée sous la forme de cadeaux fiscaux aux plus riches et de dépenses importantes en armement afin de satisfaire la classe des armateurs locaux. Elle a également profite des trucages des comptes afin de camoufler l‘ampleur de la corruption, et ainsi préserver une image attractive auprès de l‘union européenne et des investisseurs institutionnels. La dette est plus qu’illégitime ici : elle est odieuse ! Et la France n’est pas dans une situation si différente que la Grèce. Là encore, des dépenses élevées en termes de cadeaux fiscaux adressés aux détenteurs de capitaux, un niveau faible de fiscalité directe elle-même marquée par une faible progressivité, ainsi qu’une évasion fiscale importante ont ouvert un boulevard au recours à l’emprunt. Et donc à l’émission de bons du Trésor achetés par les mêmes rentiers qui bénéficient de la politique fiscale favorable de tous les gouvernements qui se sont succédés depuis plus de trente ans (avec une accélération du processus en 2002). En 1986, le taux d’imposition de la tranche de revenus la plus élevée en France atteignait 65 %. Elle n’atteignait plus que 40 % en 2007. Avec le Royaume-Uni, la France est le pays où l’imposition des plus riches a le plus décru. Le Manifeste des économistes atterrés récemment édité à l'initiative de plusieurs économistes hétérodoxes va jusqu’à parler à juste titre de « contre-révolution fiscale » (cité par François Chesnais, p. 115 ; cf. Faire banquer les peuples : la dette, stade ultime de la bêtise capitaliste (II)).

 


La question n’est dès lors plus de négocier avec les créanciers pour arrêter la modalité de restructuration de la dette afin d’en rééchelonner les ponctions (voire d’en supprimer les intérêts). La question n’est plus seulement celle des coupes budgétaires à stopper comme le demande la Confédération européenne des syndicats (CES) au nom d’une relance de la croissance. La dénonciation des dettes, comme instruments de subordination antidémocratique de la souveraineté des peuples, n’a pas d’autre finalité que leur annulation pure et simple ! Cela commence déjà, même timidement, avec l’exemple de l’Equateur dont l’audit de sa propre dette a été initié par le gouvernement de Rafael Correa en 2007 afin de contrer le secret bancaire entourant celle-ci, et de décider du caractère partiel de son illégitimité (ainsi plus de deux milliards de dollars ont  dans l‘affaire été économisés). C’est aussi l’exemple du Comité grec contre la dette qui cherche par le biais de la demande d’un’audit à réinscrire le peuple dans un mouvement de reconquête politique d’une démocratie bafouée par la classe gouvernementale corrompue. Pour sa part, François Chesnais estime nécessaire l’annulation de la dette corrélative de l’appropriation sociale des banques et de leur reconfiguration financière : il va même jusqu'à employer une formule plutôt malheureuse, celle de « nationalisation-socialisation » (p. 134). En cela il rejoint Frédéric Lordon (qui lui parle de « récommune » : cf. Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises financières), refusant de penser une solution peut-être plus radicale avancée par Bernard Friot, qui estime pour sa part que l‘extension de la cotisation sociale sous la forme d‘une cotisation économique assise sur la richesse produite permettrait de faire l‘économie du secteur bancaire (cf. Retraites, salariat et émancipation : l'analyse de Bernard Friot). La révision de la fiscalité et le contrôle démocratique de l’impôt accompagneraient un mouvement qui refuserait la sortie hors de l’euro, parce qu’elle n’aurait pas d’autre cadre que celui que lui donnerait un vaste mouvement social européen qui substituerait à la concurrence entre les peuples leur solidarité réciproque.

 

A suivre :

(II) Le Manifeste d'économistes atterrés (éd. Les Liens qui libèrent) : Faire banquer les peuples : la dette, stade ultime de la bêtise capitaliste (II)


18 juillet 2010


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