Déflagration 1

Fragment d'un récit à venir de Sihem Sidaoui

Trois silhouettes, trois bifurcations sortant de la rue principale de Menzah 6. Je suis là sur mon balcon, n’ayant toujours pas réussi à dormir. Attiré par ces trois corps qui marchent, comme trois notes d’une même phrase mélodique. Il est six heures du matin, le brouillard commence à envahir la vue. Et si j’allais marcher également ? C’est peut-être un signe, moi qui adore les signes. Me voilà face au monoprix, place vide sans le brouhaha habituel, comme si je voyais cet espace pour la première fois. Le manège d’en face sans enfants a l’air comme endeuillé. Je vais aller vers Le Montmartre. Un bon café me permettra de dessouler, de me débarrasser du vide qui s’infiltre comme poison dans mon corps. Le café est fermé, mon regard erre vers les petites ruelles. Les voilà encore mes trois silhouettes. Hahahaha… D’ici je vois bien qu’il s’agit de deux hommes et d’une femme. L’un est nettement plus jeune que l’autre. Trois corps, seuls à cette heure-ci, le silence autour, la lumière brumeuse me font penser à la fin d’un film. J’imagine Antonioni posant sa caméra là où je suis, là où il peut capter malgré la largeur du plan où l’espace vide semble écraser les personnages, une forte énergie, celle qui les a menés à errer de bonne heure ce matin de février. Plan d’ensemble en noir et blanc, avec cette lumière, le parking vide en profondeur de champ, la place du manège sans enfants et la petite ruelle avalant la jeune fille chétive toute vêtue de noir… Oui pas besoin d’un seul mouvement de caméra, un plan fixe et leur démarche rythmant l’espace… Que se passe-t-il ? Incroyaaaaaable ce fracas, un coup de feu, mon plan séquence n’en devient que plus intéressant, les trois silhouettes attirées par le fracas courent dans la même direction, vont finir par se retrouver en un seul point, celui de la source de ces coups de feu. Sidéré par la beauté du plan que je viens de percevoir, je n’arrive plus à bouger à courir avec tout le monde du côté du poste de police. Il est 8h04 minutes, des passants crient Chokri Belaïd, on vient d’assassiner Chokri Belaïd…

 

Extrait de Poser un regard (à paraître)

Commentaires: 0