Feu follet (2022) de João Pedro Rodrigues

PÉTARD MOUILLÉ

La maison brûle et João Pedro Rodrigues fait semblant de le savoir alors qu'il regarde ailleurs. Précisément dans le caleçon des garçons où activer les pompes à incendie invite à la culbute des urgences écologiques.

 

Pirouette cul par-dessus tête, juste avant la chute. Le foutre en guise de contre-feu est la douche froide du cinéma, et Feu follet d'être une royale débandade. Disons que Fogo-fatuo trouve des verges aussi pour se faire battre en démontrant par là sa fatuité.

PENSÉE DU DÉSIR ÉMASCULÉE

 

 

 

 

 

Feu follet a beau être un film court, moins de 70 minutes, il fait long feu. Une crise d'acné en différé. La séborrhée d'un vieux garçon qui a bien raison de miser sur la théâtralité et la frontalité pour prendre du champ et en aérer les semences, mais en ayant tort de croire que la meilleure eau pour en finir avec les méga-feux est une libido débridée. Pourtant, ça commence bien, avec une image dialectique appropriée, un reportage sur les forêts cramées et un tableau rappelant le colonialisme négrier portugais. Et puis, pschitt, plus rien. Ça mouille, ça mouille, c'est sûr mais ça mouille plus que ça brûle. Pétard mouillé.

 

 

 

Peut-être faudrait-il rappeler l'actualité de la décision par Pier Paolo Pasolini d'abjurer sa propre « trilogie de la vie » dont l'autocritique prévenait il y a cinquante ans qu'il n'y a plus qu'un pas entre l'hédonisme et le fascisme. Peut-être faudrait-il voir aussi ce qui pique les yeux, à savoir que les forêts brûlent avec la même ardeur qu'une pornographie imposée en fait social total et vérité spectaculaire d'un présent obscène.

 

 

 

La fantaisie musicale promise est un étouffoir aux enthousiasmes et le dandysme, le masque apprêté du beau style cachant mal la viscosité des clichés. Les éphèbes sont beaux, la langue est précieuse aux entournures, la culture est érudite, le sperme coule comme un miel supposément apaisant, un baume réparateur. Ça mouille, pourtant ça grince partout. Les emmanchements sont problématiques à plus d'un titre, déjà avec le coït des princes et des prolétaires qui fait passer à la trappe la bourgeoisie, grande responsable du désastre environnemental. Et puis, l'apologie phallique de la projection livre la version gay d'un vieux sexisme refoulant les femmes du côté de l'intériorité.

 

 

 

Pas la peine, alors, de citer Guy Hocquenghem si c'est pour en émasculer la pensée. On revient alors au titre original, Fugo-Fâtuo, en rêvassant à la communauté étymologique, indo-européenne et latine, à laquelle appartient le second terme, fatûo, cousin d'infatuation et de fatuité, de fade et fada aussi (parce que le radical bhât a donné battre et frapper). Disons alors que Feu follet trouve des verges aussi pour se faire battre en se faisant fracasser la tête.

 

 

 

 

 

ÉJACULATION ROYALEMENT RATÉE

 

 

 

 

 

On pourra toujours s'amuser des tableaux de grands maîtres, Caravage, Vélasquez et Bacon, refaits en devinettes et gymnastique virile. Et puis on aime bien les chansons utilisées par João Pedro Rodrigues qui a souvent de bonnes idées, la chorégraphie dans la caserne sur « Ctrl C/Ctrl V » d'Ermo, la chanson pour enfants de Joel Branco qui célèbre les arbres comme les amis, après l'hymne « Cançao de Engate » d'Antonio Variaçoes à la fin de L'Ornithologue. Le regard égayé ne peut toutefois pas ne pas constater que l'éjaculation rate royalement sa cible. La pinède royale n'est pas l'abri d'un désir enfantin de respirer, mais le cloître souverain d'un monarque qui, cousin d'Albert Serra, jouit en mettant en scène ses fantasmes dans l'ablation esthète de toute pensée dialectique.

 

 

 

Deux crépitements avant l'extinction des feux. Le premier voit dans les pompiers la revitalisation du désir dans les mobilisations collectives quand ce collectivisme a pour modèle celui de la caserne militaire, le même fantasme qui fait également bander le cinéma bling-bling et customisé de Julia Ducournau (Titane). Quant à la possibilité future d'un président portugais, noir et musulman, c'est une blague dont il faut évaluer la portée quand le romancier français le plus médiatique prend au sérieux une semblable hypothèse. Voilà la situation : le délire des progressistes fait rire quand les réactionnaires ont la vigilance plus crédible.

 

 

 

Le sperme coule en abondance dans Feu follet comme, ailleurs, la merde et le vomi (Sans filtre). Les épanchements, loin d'être libérateurs alors, sont les égouttures du narcissisme, alors que l'heure critique invite à la rétention, à la tenue qui se doit d'être retenue.

 

 

 

7 octobre 2022


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