Barbie (2023) de Greta Gerwig

Le rose est une couleur froide

En 1997, le groupe danois d'eurodance Aqua sort Barbie Girl, un carton commercial. Mattel, propriétaire de la marque Barbie porte plainte pour détournement d'image.

 

La justice donne raison au groupe au nom du droit à la parodie. En 2009, Mattel récupère la rythmique de la chanson pour ses réclames.

 

En 2023, Mattel a retenu la leçon des dialectiques de la critique en commandant à Greta Gerwig un blockbuster alliant l'offensive publicitaire à la parodie.

La loi de Mattel

 

 

 

 

 

L'autocritique est l'esprit d'un monde sans esprit, l'auto-ironie en totem d'immunité pour un capitalisme qu'il n'est plus nécessaire de critiquer puisqu'il s'en charge lui-même. Le fétichisme de la marchandise dont la poupée Barbie est un marmouset se dote donc d'un adjuvant spirituel, le supplément d'âme qui la reconnaîtrait en lointaine petite sœur de Peau d'âne et de Pinocchio. C'est donc une nouvelle Toy Story : les jouets qui s'animent en étant animés par l'esprit des enfants qui y jouent sont les dieux lares d'une époque qui a érigé la puérilité en art de vivre, en cessant d'assumer les responsabilités d'adultes honnis pour leur esprit de sérieux.

 

 

 

Le cinéma contemporain aime à jouer à la poupée, Ari Aster (Hérédité), Bertrand Bonello (Coma), Quentin Dupieux (Fumer fait tousser), les films de Wes Anderson, même le dernier Robin Campillo s'y met (L'Île rouge).

 

 

 

Barbie s'y coltine avec une frontalité d'abord réjouissante. Le monde imaginaire de Barbie a pour centre rose fluorescent un modèle féminin décliné dans toutes les variétés. Son pendant masculin, Ken, pendouille lui comme une prothèse en souffrance. C'est un matriarcat imaginaire dont le réel est un conglomérat masculin, voilà un paradoxe qu'il faut aménager à l'heure des nouvelles revendications féministes. Pour cela il faut tenir à l'écart de brûlantes partitions, par exemple une gamme colorée illustrant une variété ethnique en respect d'un racialisme jamais interrogé, tout en admettant que les festivités ont pour loi celle de Mattel qui ne s'en reconnaît qu'une seule, celle du capital. Il faut ensuite poser la désaffectation de la souveraine (Barbie ne se sent plus à sa place dans ce cosmos en PVC), pour lui enchaîner celle de son roi qui n'en est que le valet (Ken découvre dans le monde réel le patriarcat qu'il importe en l'absence de sa reine dans la ruche de Barbie).

 

 

 

La gelée royale, la reine Barbie y barbote, tandis que Ken n'en est que le phallus amovible, d'où son bourdon.

 

 

 

 

 

Invagination féministe (Beware ! The Blob !)

 

 

 

 

 

Remarquable symptôme : le vrai personnage de Barbie c'est Ken, vaillamment défendu par Ryan Gosling, expressif comme jamais il ne l'a été. Ken est l'agent révélateur de l'impensé du patriarcat, qui cache une simple demande de reconnaissance des hommes par les femmes. C'est touchant mais limité. Du côté des filles, la fin du sortilège permettant à la cohorte des Ken de se venger des Barbie se résume à la seule magie énonciative des dissonances cognitives dont les femmes sont les habituelles victimes. Le féminisme tient alors du conte de fée inoffensif. Tout finira par rentrer dans l'ordre, le patriarcat dans le monde réel, le matriarcat dans le monde imaginaire. Et le premier d'être aussi caricatural que l'est, par artifice et convention, le second.

 

 

 

Dans l'intervalle, Greta Gerwig trousse une histoire de réconciliation entre une mère qui continue de penser à ses poupées en travaillant pour Mattel et sa fille, une clone de Greta Thunberg qui finit par se ranger aux nostalgies maternelles. La morale est enfin délivrée par la créatrice de la poupée : tout est bon dans l'émancipation, y compris les représentations qui capturent l'enfance dans le plastique rose de la réification.

 

 

 

Les espoirs suscités par Lady Bird (2017) auront été engloutis dans la gelée de la nouvelle reine de Warner. Barbie serait alors une version cachée d'un bon film d'horreur, lui-même plusieurs fois remaké : The Blob.

 

 

 

 

 

Liquidation par refroidissement

 

 

 

 

 

Le rose est une couleur froide, la liquidation par refroidissement d'un féminisme homogène à ce qu'il est censé critiquer parce que sa critique est la publicité d'un capitalisme irrécupérable à force de tout récupérer.

 

 

 

Le retour du chaud a toutefois lieu, in extremis, lorsque Barbie enfin humanisée a pour première revendication de prendre rendez-vous avec un-e gynécologue. L'attribution conquise d'un appareil génital, loin de servir une vocation maternelle, signale le rappel des investissement politiques dont le vagin aura été l'objet historique. Le repentir échouera cependant à faire oublier l'invagination en féminisme que le film de Greta Gerwig aura instruite.

 

 

 

25 juillet 2023


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