Claude Chabrol

"Cruauté, secret compris" in Claude Chabrol : Contes cruels (numéro 69, décembre 2021)

Analyse du Boucher (1970)

 

Il y a chez Claude Chabrol une cruauté manifeste, qu’elle se déduise d’un fond naturaliste rappelant à la bête humaine sa tragique bêtise ou d’un goût analytique des rapports sociaux sous l’angle de l’hypocrisie comique des apparences. Et puis il y a l’autre cruauté, une cruauté moins évidente qu’inapparente dont le secret affleure seulement avec les hypothèses vertigineuses suggérées par les pures opérations de l’écriture cinématographique. Un secret d’autant plus fascinant qu’il se laisse approcher mais sans jamais se laisser percer. Le secret, on s’en approche mais prudemment car il est intouchable en témoignant d’un inappropriable.

 

La cruauté est sardonique en étant bouffonne, mordante en étant carnassière et c’est celle qui en apparence attrape le regard du spectateur avec les dents, férocement. La cruauté inapparente serait, elle, plus subtile que viandarde, tel un alcool raffiné et liquoreux, un spiritueux. La cruauté chabrolienne a deux visages, avec une face visible jusqu’à la caricature masquant l’autre qui en assurerait la part secrète. Un chef-d’œuvre canonique mériterait ainsi d’être revu pour le voir comme on ne l’aurait peut-être jamais vu : Le Boucher (1970).

 

La cruauté inapparente est la ténébreuse affaire des séducteurs chabroliens qui, en nous subjuguant à notre insu, offusquent ce qu’ils sont. Dans Le Boucher, l’institutrice et directrice de l’école communale de Trémolat est la femme inaccessible pour l’artisan boucher qui l’aime d’un amour sans retour. Elle est également une vampire qui à la fin saigne à blanc le monstre qu’il est peut-être comme il pourrait tout aussi bien ne pas l’être. Le mal a plusieurs visages et il avance tantôt à découvert, tantôt masqué en influençant fallacieusement notre regard.

 

Une fois que les photogrammes auront servi de preuves à l’appui, on conclura sur une anecdote personnelle : le soir de 2009 où l’auteur de ces lignes a rencontré Claude Chabrol et l’a entretenu de la présente hypothèse. Le sourire aussi malicieux qu’indécidable d’un cinéaste qui a eu ce soir-là le visage du chat du Cheshire donne à l’hypothèse de la cruauté inapparente le crédit du secret toujours plus suggestif que la crudité tranchante des faits divers sanglants…

 

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